Dimanche 9 novembre 7 09 /11 /Nov 21:06

Soirée spéciale 1

 

  Cet après-midi a révélé à mon amie l’étonnant changement que je mets en pratique. Mon approche à la sexualité prend allure d’un libertinage parfaitement assumé. J’ai balayé mes inhibitions et je ne les regrette pas. J’évolue dans une bulle d’insouciance où les interdictions disparaissent une par une. J’ai goûté au fruit défendu par les religions monothéistes et le goût m’a convaincue. Il fut un temps où la vie se présentait moins compliquée. Sous le polythéisme on adorait des dieux et des déesses de fertilité et on préparait les êtres humains à une approche simple et naturelle au plaisir de la chair. La pulsion sexuelle occupait le premier plan du culte et on la vénérait pour sa beauté et sa puissance créatrice. La pulsion était sollicitée et se pratiquait pendant d’innombrables rites. Aujourd’hui l’accent s’est déplacé sur la beauté de l’objet, ou plutôt celle du partenaire pour ceux qui se heurtent à la terminologie purement scientifique de Freud. Notre langage s’est imbibé d’une hypocrisie à toute épreuve et quand on vante la beauté d’une femme, il s’agit d’une façon détournée pour exprimer qu’elle soit sexuellement attirante. Les américains nous ont légués le mot sexy (ce qui excite le désir sexuel) mieux adapté à notre société. Son emploi est restreint et carrément prohibé par le sens commun en ce qui concerne le couple. Les hommes se vantent devant leurs amis que leur femme soit belle et évitent précautionneusement de mentionner qu’elle soit sexy.

  En ce qui concerne les pratiques amoureuses (encore une aberration du langage) les mœurs se sont élargies pour une minorité, même si les films porno essayent de nous faire croire l’opposée. Le jour que les pratiques se libèrent vraiment, il n’y aura plus besoin des films X. Au lieu de fixer comme hypnotisé des images du petit écran, les gens seraient absorbées par leur propres mises en scène. Les intellectuels progressistes, pour marquer leur ouverture d’esprit, se servent du joli mot « conventionnel » » pour critiquer ceux qui ne s’abandonnent pas au libre échange, uniquement guidé par la recherche du raffinement.

  Mais ce qui me provoque vraiment la nausée est la désignation « femme libérée », très en vogué dans les années soixante-dix. On nous octroie généreusement le droit de satisfaire nos mâles de toutes manières imaginables pour nous faire oublier que l’égalité sociale entre hommes et femmes reste du domaine législatif. Les dispositifs sont en place mais le peuple ne suit pas.

  J’avoue que je suis en mauvais terme avec les hommes. J’émets des préjugés qui ne sont pas forcements fondés sur des faits en général, mais sur des déceptions personnelles. Je devrais me pencher sur la question dès que l’occasion se présentera pour réviser mes approches. En ce moment je suis sous l’emprise d’un processus évolutif que je ne veux confondre en aucun cas avec sa finalité.

  J’ai enfin repoussé mes propres limites en entrant dans un pays qui est restée trop longtemps en sommeil à l’intérieur de moi. En refusant de l’accueillir je me suis frustrée par un puissant refoulement en me croyant heureuse et équilibrée. J’avais accepté un mode de vie qui n’était pas le mien et que mon entourage m’a dictée depuis que je peux me souvenir.

  Maintenant je suis en mesure d’apercevoir les étendues de ce désastre. L’ancienne Bella ne connaissait ni le bonheur ni la satisfaction. La nouvelle Bella est prête à écouter son corps et ses pulsions, bien décidée de les vivre consciemment. 

  Chloé n’a eu aucun mal à me convaincre pour une soirée quelque part dans une grande ville des Corbières dans un club privé où la mise en scène du désir sous toutes ses coutures est pratiquée et célébrée.

Ce n’est plus l’inhibition qui hante mon esprit mais plutôt une certaine angoisse devant l’inconnu. Encouragée par mes nouvelles expériences et mes progrès rapides devant la difficulté, il me tarde déjà d’affronter ce démon qui a élu domicile en moi. Désormais il ne peut plus se cacher car comme une archéologue je retourne couche par couche mon inconscient.

  Georges Bataille à dit : Le propre de l’angoisse est de se fondre en extase. Je verrais bien dans un avenir proche de mon « expérience extérieure » si cela se vérifiera.

  Chloé a su me rassurer que ce genre de lieux n’a rien en commun avec l’échangisme qui n’est pas ma tasse de thé. Je peux le dire objectivement, car je ne serais plus gênée de réaliser un fantasme qui me traverse la tête. Libérée de mes inhibitions je comprend mieux le sens du diction : Il n’y a pas que le sexe dans la vie. Cela peut paraître surprenant vu mon actuelle façon de vivre. En me privant des aventures sexuelles mon inconscient a dû utiliser toute mon énergie disponible pour me maintenir dans un état de léthargie artificielle. Maintenant je dispose des ressources inépuisables, comme il me semble, et je suis déjà en train de les répertorier pour un changement radical de ma vie sociale. Je ne suis pas pressée comme d’habitude, mais je sens qu’au niveau de ma carrière professionnelle je n’ai pas encore dit mon dernier mot. Je pousse ces pensées de côté. On est samedi soir, rideau pour la fête. C’est bien de savoir faire un break sans remords. J’ai envie de m’amuser avec Chloé dans une atmosphère érotique. L’acte sexuel n’est ni la finalité, ni l’enjeu du lieu. On y vient pour échanger des fantasmes, se mettre en scène, pour être vu par les autres ou pour les regarder simplement.

 D’abord Chloé insiste sur le caractère privé de cette ferme immense perdue dans les vignes : Ici n’entre pas qui veut. Le cadre est amical. La majorité des clients se connaissent depuis des années. Chloé venait ici avec son mari pour délirer avant que la mode ait pris dans des grandes villes. Le climat est libertin sans qu’on soit agressé. Il n’y a pas des séances des tortures comme on les voit un peu partout maintenant. Les jeux se limitent au fétichisme et à des formes soft de SM. Chacun est entièrement libre de faire ce qu’il lui plaît en respectant les autres. On peut y manger comme nous le prévoyons, prendre un pot au bar, danser sur la piste ou s’exhiber à sa guise. J’ai envie de me laisser inspirer par l’endroit.

  Le terrain qui entoure la ferme est entièrement clôturé. Un grand portail marque l’entrée. Le gardien porte un uniforme semblable à ceux des grands hôtels. Il connaît Chloé et on pénètre sans la moindre difficulté. Il n’a même pas demandé des renseignements sur moi. La compagnie de Chloé suffit pour que les portes s’ouvrent, pour être saluée partout avec le sourire.

  À la garde robe vient le moment de vérité. Un lustre en cristal jette une agréable lumière jaune. Un miroir à l’ancienne, ciselé, reflète nos images. Je porte une robe à courtes manches bouffantes en brillant satin rose avec un décolleté plongeant. Elle est serrée à la taille avec un bas très évasé sous lequel sortent une multitude de jupons. La robe est si courte qu’on aperçoit en permanence le haut de mes bas. Depuis l’après-midi je n’ai pas quitté mon corset. Mais pour être plus à l’aise Chloé m’a bien détendu le laçage. J’ai moins de mal à respirer et le vertige est parti.

  Mon maquillage est assorti à mes cheveux bleutés et le rouge à lèvres répète la couleur de ma robe. Je suis l’apparition d’une poupée vivante. Je me trouve belle et troublante à souhait. Chloé est allée loin dans la sophistication. Elle aussi a gardé ses sous-vêtements et comme moi évité, d’enfiler un string. La nudité sous ma robe m’est plaisante et l’idée que mon intimité puisse se dévoiler en dansant, m’excite. J’ai envie de tenir parole devant Chloé. Je voudrais que l’on me regarde de partout. La robe à Chloé est identique à la mienne, mis à part un lourd tissu en vinyle noire reflétant. Pour le maquillage elle a déployé des grands moyens. À l’aide d’un aérographe elle a transformé son visage en paysage printanier avec un papillon multicolore dont les ailes ont pour centre ses yeux. Ses cheveux sont relevés en chignon, saupoudré de paillettes. Ses bijoux sont froids, presque austères.

  Elle m’a prête une parure complète de perles. Jamais avant j’ai eu l’occasion de portes des si beaux bijoux.

 

  Notre entré en salle ne laisse personne indifférent. Les regards se tournent vers nous, survolent Chloé pour la saluer et s’arrêtent sur moi. Quelle différence avec ma bibliothèque. Je suis remarquée enfin. Chloé m’a ôté le voile d’invisibilité qui m’a laissée sombrer dans l’anonymat pendant des années. J’étais une fleur qui se croyait déjà fanée avant d’avoir fleurie. Avec Chloé je commence à comprendre qu’il n’y ait jamais un «meilleures années derrière soi » mais que « des instants précieux à vivre devant soi ». À moi de me créer des occasions. Je suis encore un peu inhabituée à cette démarche et mes bottines à hauts talons me rappellent à chaque pas de ne va perdre mon équilibre, peu importe ce qui arrivera dans le futur. Comme je me suis aperçue il n’est pas difficile à apprendre, seul la prise de décision est dure. Une fois lancée, il suffit de suivre son propre élan. Cela me donne l’aisance de me montrer dans une tenue provocante devant des inconnus. D’ailleurs je ne suis pas la seule dans une tenue hallucinante. Le dress-code préconise cuir, vinyle et latex. Les femmes rivalisent par des extravagances. Mais je prend conscience d’une chose : je possède vraiment un corps hors du commun, souligné par mon mètre soixante douze hors talons et mes formes sculpturales. Chloé avait raison : j’étais une beauté qui s’ignorerait.

  -Je vous présente mon amie Bella, dit Chloé. La fierté dans sa voix ne fait aucun doute.

  Je suis confrontée à tout genre de regards ; agréables, complices, étonnées ou coquins. À travers de mon corps j’aspire le désir et seul Chloé sait m’éclipser.

  Je prends bonne note et me servirais désormais de mes avantages physiques aussi hors compagnie de Chloé.

  La salle abrite un comptoir en bois sombre et un coin restaurant dans lequel se trouvent une vingtaine de personnes sous une lumière artificielle qui est le plus dense au plafond pour s’évaporer doucement vers le bas. Des bougies sur les tables, des fleurs aussi. Sur la table de Chloé est posé un bouquet de fleurs de champs. Elle aime leur aspect sauvage. À ma grande surprise les roses et orchidées la laissent indifférente. Son goût démarque en tout.

  La clientèle est composée en majorité par des couples, quelques rares hommes seuls et encore moins de femmes seules. Une tenue suggestive est de rigueur.

  L’âge moyen tourne autour de celui de Chloé, puis un gouffre sépare des jeunettes dont je suis de loin la plus âgée.

  La musique est lourde, psychodélique et fait rêver, style Velvet Underground ou Enigma. Je suis un peu déroutée. Je ne sais pas ce que Chloé attend de moi. Autour de nous des couples exubérants, des débuts de mise en scènes, des serveuses ultra sexy qui portent des plats. Et Chloé qui s’entoure de silence. Son regard est vide comme celui décrit sur son mari. Elle me semble si loin. Je me sens oubliée, abandonnée par Chloé et par… l’ancienne Bella.

  L’air dans la salle de restaurant est frais. Les ventilateurs tournent. Leur usage m’est compréhensible : mélanger les parfums. Selon la direction je suis exposée à des réactions olfactives différentes. Je distingue clairement l’odeur des hommes de celle des femmes. Parfois il y a trop de parfum, quelqu’un essaye de se cacher sous un faut personnage. Le mensonge des apparences, serait-il si facile à détecter ? L’attrait de l’étrange stimule ma curiosité, l’envoûtement par des voix qui viennent de partout. La musique me berce, je suis en train de subjuguer à des charmes sur lesquels je ne peux pas mettre un visage. Que se réveille-t-il en moi ? Quelle bête féroce se cache en moi ?

  Des voix se brisent comme des vagues sur un océan de désirs. Je suis immobile, mes yeux sont dirigés vers mon propre moi, l’extérieur devient un cocon, un univers fœtal. Les odeurs, bruits et mouvements se confondent. Je suis engloutie dans des rêves érotiques. Mais ce ne sont plus des rêves, ce sont des pulsions fortes qui échauffent mon sang. Des images défilent devant mon œil intérieur. Certains sont semblables à ce que j’observe ici, d’autres à ce que j’ai vécu avec Chloé, à ce que j’ai vécu avant elle. Certains n’ont pas de visage, ce sont des pulsions que je n’arrive pas encore à définir. Je ne sais pas où ils m’amèneront. Pour l’instant ce ne sont que des pulsions.

  Je vois de soumises avec leur maîtres et je m’imagine à leur place. Je vois des dominatrices avec leurs soumis, agenouillés par terre aux pieds de leur maîtresse et je serais tentée par une telle expérience.

  Une odeur me ramène à la réalité, c’est la mienne. Mais elle ne vient pas de moi, elle vient de la personne en face de moi. La vie est retournée dans les yeux à Chloé. Elle m’observe.

  -Tu es revenue parmi nous Bella ?

 

suite

Par isabelle183 - Publié dans : La fille aux cheveux noirs - Communauté : Ecritures Sensuelles
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