Jeudi 10 septembre 4 10 /09 /Sep 22:32

Une atmosphère lourde baigne la Cour aux mille colonnes. Le soleil n’a pas encore entamé son déclin, et pourtant toutes les femmes se sont rassemblées… On a annoncé la visite du sultan. Les Haseki (épouses) s’éventent dans les rares coins d’ombre, les concubines s’entretiennent près des fontaines, d’autres encore se tiennent coites : chaque mouvement fait perler des gouttes de sueur sur leur front voilé. Un eunuque, les yeux mi-clos, observe trois jeunes filles qui se disputent, nerveuses ; la pierre blanche de la cour blesse les yeux, on ne peut se fixer que sur les étoffes chatoyantes… Le regard s’égare entre les pantalons bouffants, les décolletés encadrés par des broderies multicolores, les châles pourpres des musiciennes et les voiles orangés qui dissimulent assez peu les corps luisants des danseuses. La tension est telle que nulle n’ose parler à voix haute, les chuchotements se mêlent aux bruissements des tissus, aux bourdonnements des mouches. Le bruit d’une carafe qui se brise à terre fait sursauter tout le monde, et un eunuque houspille une servante pour qu’elle se dépêche de ramasser les morceaux. Le calme revient, mais toute langueur a disparu. L’heure approche. Quand le son profond de la cloche du palais résonne dans la cour, un silence pesant s’installe.


Une visite du Sultan à cette heure ensoleillée est particulièrement inhabituelle, et chacune tente de se rassurer intérieurement, de se prouver qu’elle n’a rien à craindre. Les plus jeunes, tout juste intégrées au sérail, n’ont encore jamais vu le maître…Elles attendent, figées, seules parmi leurs semblables. Les lourdes portes de bois s’ébranlent, les femmes frémissent et retiennent leur respiration. Deux gardes poussent les battants. Entre l’escorte d’eunuques, au milieu desquels le Sultan brille plus qu’il n’apparaît, tant les fils dorés de ses vêtements luisent au soleil. C’en est presque un soulagement de s’incliner et de baisser les yeux à son passage. Jaheda a eu le temps d’observer ses yeux froids, et durs. Elle ne tremble pas comme les autres, qui n’ont rien à se reprocher, elle est certaine que cette visite lui est destinée ; et pour l’instant c’est une force. Bientôt, toutes, elles laisseront échapper un soupir de soulagement, sans doute elles braqueront leurs yeux sur elle, les amies d’hier comme les vieilles ennemies… Mais savoir ce que la plupart ignore est une force au sérail, une force qui protège de la peur.


Le Sultan est passé entre les femmes courbées, les eunuques et les servantes s’affairent pour tendre la lourde toile jaune, de sorte qu’aucun rayon ne vienne l’importuner, sans qu’il ne soit pour autant dissimulé sous la tente. La mère du sultan vient annoncer qu’une faute grave a été commise hier soir, lors de la réception en l’honneur des ambassadeurs européens. Une des danseuses a trébuché pendant la cérémonie d’accueil, entachant l’élégance des spectacles et divertissements proposés. L’honneur du Sultan vis-à-vis de ses hôtes est donc atteint, et celui-ci se sent humilié. Mais la coupable est une distinguée, une remarquée… Elle ne sera donc pas exclue, mais humiliée à son tour, devant tout le harem dont elle n’a pas été à la hauteur, et aussi en guise d’exemple pour les plus jeunes. Une vague de réactions sourdes a parcouru l’assemblée, les yeux se croisent, on s’attarde sur les danseuses, on cherche celle qui tremble le plus, plus que les autres, dont le trouble n’est que soulagement. Mais quand on appelle la fautive à s’avancer, Jaheda ne se confond pas en rougeurs inopportunes, elle se détache de ses pairs, dont elle se sent déjà très loin, et adresse même machinalement un sourire ironique à Asrar, qui hier soir a négligemment laissé un de ses foulards sur la piste… Il serait vain et imprudent d’expliquer cela. De toute façon la jalousie a sans doute motivé son acte, et elle l’éprouve peut-être encore plus maintenant, alors que le Sultan s’est déplacé pour assister à la punition… Où va se placer l’envie, pense Jaheda, alors qu’elle s’approche de la tente royale, les yeux désormais fixés au sol.


A suivre

Par isabelle183 - Publié dans : Récits de fessée par mes amis du net - Communauté : La fessée
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