Dimanche 15 juin 7 15 /06 /Juin 13:23

                                             CHAPITRE  6.1

 

                                      LA MÉTAMORPHOSE

 

 

J’ai obtenu mes journées sans solde, les premières depuis que j’occupe mon poste. Deviendrai-je moins sérieuse qu’avant ? J’en suis convaincue et cela m’amuse. Les yeux étonnés du maire m’ont presque provoqué un fou rire. Heureusement j’ai pu me retenir. L’influence de Chloé se fait remarquer de partout. Je vois les éventements maintenant sous un autre angle. Le maire n’a pas osé de refuser ma demande. Fascinant ce qu’un petit sourire coquin peut provoquer chez un homme. Comme les actes de la vie courante deviennent simples quand on sait s’y prendre.

 

Je me suis levée tôt ce matin. Je dois être à neuf heures à Toulouse dans un salon de coiffure réputé que Chloé m’a conseillé. Ce salon n’est pas comme les autres. D’abord, il faut sonner pour y entrer. Ici on trie la clientèle. Sans recommandation pas question que l’on vous ouvre. L’intérieur est du style dix neuf cent. Il y a des séparées dans lesquelles on se retrouve seul en tête-à-tête avec la coiffeuse ou le coiffeur de son choix, à l’abri de regards indiscrets. J’ai pris mon rendez-vous avec Geneviève, comme Chloé m’a suggère.

 

-Avec elle tu t’amuser bien et tu peux discuter de tout. Elle est calée en conseils de beauté et ouverte à tout sujet, même au plus coquin. Avec elle, il n’y a pas de stress et la prestation est divine. Parfois je passe la journée entière avec elle.

 

Une hôtesse m’accueille. Elle est habille charleston. Je n’ai pas d’habitude de ce genre de lieu.

 

-Mademoiselle Bella ?

 

Je hoche la tête. Elle me guide dans une pièce parfaitement équipée pour la coiffure. Un petit coin salon complète l’ensemble. Le décor est somptueux. J’ai droit à un thé, des petits gâteaux, des revues de coiffure. Elle me fait discrètement comprendre que je suis l’invitée de Chloé. Je ne cache pas que je me sens rassuré. Voyant le luxe et le service je me suis fait quelques soucis. Je ne suis pas dépourvue d’argent, mais j’ai bien saisi que ce cadre dépasse mes moyens.

 

Je suis curieuse et feuillette les fiches du personnel. Geneviève est une petite brune avec un carré court. Elle l’a l’air sympa et rigolote. Elle doit avoir le début de la trentaine et je ne peux qu’approuver le conseil de Chloé d’après ma première impression. Cette Geneviève m’inspire confiance.

 

Il me tarde de procéder à ma transformation. Pendant longtemps j’ai eu un véritable traumatisme de salons de coiffure. Je n’avais pas digéré mes souvenirs d’enfance. Maintenant ils me semblent tellement loin. Enfin je suis en paix avec moi.

 

Pourquoi je montre subitement un tel enthousiasme pour le court ? Essayons d’abord les écrits du père Freud. Selon la théorie de la séduction j’étais victime d’une mère castratrice qui cherchait un substitut à ses propres insatisfactions de façon pathologique. En me réduisant à une position passive elle exerçait une violence physique et morale à mon égard, en m’imposant sa volonté et ses critères d’esthétisme.

 

J’avoue que ma mère n’a pas eu une vie heureuse avec mon père, surtout au début de leur mariage. Mon père était marqué par une jalousie maladive et la soupçonnait en permanence des infidélités dans son absence. Les disputes à ce sujet étaient légion et il arrivait souvent que mon père levât la main sur ma mère, surtout quand il avait bu. Gamine, j’assistait impuissante à ses excès de violence qui me faisaient peur. Cependant j’ai compris vite que ces scènes finissaient souvent par des réconciliations au lit.

 

Ma mère, une femme forte physiquement et impulsive, se montrait envers mon frère et moi d’une sévérité particulière. J’ai reçu une éducation « traditionnelle » dont ma mère se vantait fièrement dans le voisinage. Je dois ajouter que les coutumes de la campagne ne sont pas tendres. Même dans les années quatre-vingt et quatre-vingt -dix les châtiments corporels n’avaient pas disparu en milieu rural. J’ai partagé le triste sort de beaucoup d’enfants.

 

Freud met déjà en garde les éducateurs contre ces pratiques en dix-neuf cent cinq dans les « Trois essais sur la théorie de la sexualité » et indique clairement les conséquences néfastes. À cette époque il a déjà abandonné la théorie de la séduction au profit du fantasme qui se base sur la vie imaginaire, tel que la personne se représente à elle-même son histoire. Le fantasme ne correspond pas forcement à une réalité vécu, comme j’ai pu m’apercevoir avec « les vacances chez ma tante » où la visite chez le coiffeur était source de sensations agréables et même ardemment désirée.

 

Je perçois plusieurs approches à ma subite tentation dont une me saute aux yeux. Je suis convaincue que je me sente coupable de ma relation avec Chloé envers ma mère et du fait que le week-end dernier j’ai décommandé mes parents au profit de ma nouvelle amie. Pour effacer ma faute j’éprouve le besoin d’une punition qui doit être – mesuré à ma propre échelle de valeur – exemplaire et mon masochisme me pousse à me l’infliger moi-même. Je serais encore plus sévère avec moi que ma mère.

 

D’un autre côté j’ai envie de choquer mes parents en les confrontant avec leurs propres incohérences. Il n’y a aucun rapport entre la moralité d’une femme et la longueur de ses cheveux.

Voudrais-je me débarrasser du fardeau de mon ancien vécu en imaginant que je serais ainsi capable de prendre un nouveau départ ? Je sais que cela est ridicule : on peut se changer la tête par un coup de sissors, mais pas le contenue.

 

Et si le court correspondait tout simplement à mon propre goût, tel que j’aimerais me voir ? Tel que j’aimerais être aperçu dans la vie sociale, alors en avant tout en femme de tête.

 

Geneviève arrive. Elle est encore plus belle que sur la photo.

 

-Bonjour Mademoiselle Bella, je vous souhaite une agréable journée dans notre établissement. Je suis Geneviève et à votre écoute.

 

Elle se tient devant moi. Elle porte une blouse blanche, très courte et des chaussures à haut talon. Encore un uniforme. Comment fait-elle dans ce métier pour passer sa journée sur des échasses.

 

-J’aimerais votre conseil de professionnelle pour mes cheveux, Geneviève.

 

-Avez-vous une petite idée ?

 

-Je vous en parlerai plus tard ! 

 

-Vous avez un visage parfait Bella, les proportions sont idéales, votre nez est sans défaut, les oreilles ont la bonne taille. Votre bouche est bien dessinée et le vert de vos yeux donne envie de le mettre en valeur par une coiffure adaptée.

 

Je ne m’attendais pas à tant de louanges. Peut-être Chloé n’a pas tort et je suis assurément une beauté qui s’ignore.

 

-Vous avez le libre choix ; autant le court que long s’accorde harmonieusement avec votre visage. Avez-vous déjà songé à essayer des cheveux lisses ? Si vous le désirez, je peux défriser les vôtres.

 

-J’aimerais bien abandonner ma permanente. Qu’en pensez-vous ?

 

-Je pense que vous gagneriez dans l’échange. Les permanentes se font de plus en plus rare de nos jours.

Personnellement je vous conseillerais du plus court. Cela mettrait les traits de votre visage en avant. Peut-être un changement de couleur ?

 

-Je serais tenté par du noir bleuté.

 

-Un excellent choix, très tendance. Nous sommes connus pour la qualité de nos colorations. Vous ne regretteriez pas votre ancienne couleur, je vous l’assure.

 

-Que ferriez-vous à ma place ?

 

-Vu la couleur que vous avez choisie, je vous conseillerai du court, style garçonne des années vingt.

 

Je me demande si Chloé n’aurait pas vendu la mèche.

 

-Je vous vous laisser main libre.

 

Geneviève me lave les cheveux. Elle prend son temps pour me masser, doucement au début et de plus en plus intense vers la fin. Je suis extrêmement sensible sur le cuir chevelu et mes frissons de bonheur n’échappent pas à Geneviève. Elle fait durer le plaisir. Puis je passe sur la fameuse chaise.

 

Comme hypnotisé j’assiste à ma transformation. Avec chaque longueur coupée je me sens revivre. J’ai l’impression que Geneviève me débarrasse d’une féminité qui ne reflétait pas ma personnalité et que je me suis sentie obligée d’adopter pour coïncider avec la norme.

Cela explique bien la multitude des négligences dans mes tenues et présentations. Pour réussir dans sa vie il faut être convaincu du produit que l’on vend. La concurrence ne dort pas et il faut focaliser toutes ses forces si on veut s’imposer. J’ai compris avec Chloé que a solution la plus efficace ne tient qu’à un fil : être soi-même avec les autres.

 

Ma longue frange tombe, mes oreilles apparaissent, ma nuque se dévoile. Je me trouve de plus en plus jolie. Cela ressemble bien à ce que j’aivais décrit à Chloé. Je devrais être contente, mon vœu est exhaussé. Pourtant je ne suis pas indubitablement satisfaite. Dans ma tête se dessine vaguement sur un horizon brumeux l’ère d’une nouvelle Bella. Pour l’instant je suis loin, je suis tout au début de mes démarches et je ne sais pas encore comment réaliser mes ambitions, un peu démesurées. Je voudrais atteindre deux buts à la fois : En premier, que le contenu de ma tête soit reconnu, par des actes socialement revalorisant. En deuxième être désirée physiquement par une présentation de mon corps, choisie selon mes propres critères d’esthétisme, cohérences et incohérences. Sur ce dernier point notre culture s’avère avantageuse pour moi. L’exhibitionnisme du corps féminin est parfaitement toléré et j’y compte bien en profiter en poussant mes limites à leur paroxysme. Je réalise que je suis prête à assumer ma métamorphose en objet de convoitise en imposant mes règles. Cela me permettrai une sorte de pré-trie pour n’attirer que ceux enclins aux mêmes délires que moi. Après tout, je voudrais aussi m’amuser dans la vie. Je verrais bien si le sucés sera au rendez-vous.

 

-Ça ira Bella ? Vous ne trouvez pas trop court ?

 

- Au contraire. J’aimerais faire une surprise de taille à Chloé. Elle ne me crois pas chiche pour du ultra court. Ayez la main lourde. Je voudrais un changement radical, sans négliger l’esthétisme bien sur. Nous reste-il de la marge ?

 

-Rassurez-vous, votre visage se prête à tout. Cela est fort rare.

 

-Entre nous, j’ai deux vies bien distinctes. Je suis bibliothécaire dans une petite ville je dois me présenter correctement au travail. Le week-end je me lâche et me permet plus de fantaisie. Il me faudrait quelque chose de conciliable.

 

-Donnez-moi une idée précise de ce qui vous tenterais vraiment. Je suis là pour ça.

 

-Qu’avez-vous à me proposer de plus court ?

 

-Il n’y aura pas de regret de votre part ?

 

-Soyez en rassurée Geneviève.

 

- Je verrais quelque chose de très voyant, très provoquant et … très sexy.

Nous renonçons à la petite longueur dans la nuque et nous dégageons l’arrière de votre tête au maximum, on ne gardant …que le stricte nécessaire.  Vers l’avant nous rallongeons petit à petit. Puis pour le tout devant des petites longueurs qui vous permettront, à l’aide d’un gel, mille fantaisies, du plus sage au plus osé. Qu’en dites vous ?

 

J’accepte avec un sourire qui vient du cœur.

 

Geneviève pose les sissors et se munie d’une tondeuse pour ma nuque. La sonorité me semble en ce moment la musique la plus excitante du monde.

 

-Vous verrez, combien d’hommes seront fous de vous ! Beaucoup n’osent pas s’avouer ce genre de fantasme, mais une fois devant le fait accompli ils auront du mal à garder leur calme.

 

C’est parti. Les vibrations de la tondeuse me procurent un frisson incroyable. Aujourd’hui c’est jour de fête. La guerre avec moi est finie. C’est la libération.

J’ai la chair de poule sous une pluie de mèches qui se déversent sur le sol. Je me regarde à nouveau dans la glace. Je me passe la main dans ce qui me reste de mes cheveux. À l’arrière ça pique drôlement comme des minuscules épines. Ma vie va changer. Qui s’y frotte, s’y pique. La couleur s’applique au pinceau sur des chaumes d’une sensibilité incroyable. L’érotisme de la sensation dépasse mes rêveries d’antan. Ma « tante » aurait l’air d’une hippie à côté de moi.

Pendant la pose de la couleur Geneviève reste avec moi. Ici on ne vous met pas dans un coin d’attente. J’ai droit à une autre boisson de mon choix, préparée sous mes yeux.

 

-J’avoue que j’étais impatiente de vous connaître Geneviève. Chloé m’a parlée tellement en bien de vous.

 

-Merci ! Chloé est une personnalité à part. Elle est éternellement à la recherche de la beauté et des plaisirs en tout genre. Elle vient souvent nous visiter lors de ses passages à Toulouse. Malheureusement je n’ai jamais eu le plaisir d’apercevoir son mari. Elle n’en parlait jamais. Elle m’a expliquée pourquoi. C’était un accord entre elle et son mari qui voulais garder le mystère planant autour de lui en se créant un anonymat le plus strict. Quel homme étrange et si modeste à la fois. La célébrité le laissait froid. Je ne vous dit pas ce que moi j’aurais fait à sa place.

J’avais à peine dix-huit ans quand j’ai débuté ici. L’ambiance est excellente.

Chloé a toujours été adorable avec moi. Elle m’a faite évoluer.

 

La couleur a prise. Geneviève me rince les cheveux. L’eau est agréablement chaude. Je me sens bien et en confiance. Je veux être la plus belle pour Chloé. Après un séchage de quelques secondes j’ai du mal à me reconnaître. Le ultra court avec ma nouvelle couleur me va à la merveille. J’ai énormément rajeunie, malgré me vêtements qui contrastent. On dirait que j’ai tout juste vingt ans et je compte bien profiter à partir de maintenant de mon adolescence prolongée.

Pour le maquillage du jour je fais une fois de plus confiance à Geneviève. Il est aussi réussi que ma coiffure. En me regardant dans la glace je me trouve tellement séduisante. Je suis sur le point de tomber amoureuse de moi. Enfin je me plait et ça remonte mon ego.

En partant, je laisse un bon pourboire, bien mérite, à Geneviève.

suite


Par isabelle183 - Publié dans : La fille aux cheveux noirs
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