La fille aux cheveux noirs

Dimanche 15 juin 7 15 /06 /Juin 13:36
                                       LA MÉTAMORPHOSE (suite)

Gonflée à bloc je suis prête pour des nouvelles aventures. Je me dirige vers le salon de beauté que Geneviève m’a indiqué. J’étudie attentivement la liste de prix affiché en vitrine en faisant mes calculs. Pour entrer je n’ai plus d’inhibition. Oui, une des employées est disponible. Je demande une épilation complète. Je ne suis pas une femme douillette, plutôt endurcie. Il faut souffrir pour être belle. Je souffre en volupté. Mon côté masochisme a du bon. Il me permet d’aborder des sensations extrêmes dans des bonnes conditions. Quand je sors, je suis débarrassée de mes poils dans les moindres recoins, lisse comme un bébé. Ma peau brûle légèrement ; elle est hypersensible. Chaque pas est une révélation.

 

Je m’installe sur une terrasse de bistro où je mange un sandwich. Je ne passe plus inaperçu. Pas mal d’hommes me regardent. Je ne suis néanmoins pas d’humeur de faire déjà une rencontre. Je n’ai pas le temps. Des courses m’attendent.

Je refuse poliment, mais ferment les avances d’un homme qui m’aborde par un compliment sur ma jolie coiffure. On dit toujours que long avantage une femme, révèle sa féminité au mieux. C’est une idée reçue. Le ultra court opère par effet de rareté. En plus il actionne l’inconscient. Les hommes sont foudroyés sans savoir ce qui leur arrive. Je dois avoir le vice dans la peau et je m’en réjouie.

 

J’ai prévu du shopping. Pour l’instant je suis encore un peu indécise. Il serait temps que je change ma lingerie. Pour le reste je verrais plus tard. Peut-être entre temps j’aurais le déclic. Chloé m’a indiqué certains magasins. J’étudie les étalages avant d’opter pour un d’entre eux. Quelques uns - surtout là où se vendent les créations – ne correspondent pas à mes moyens. Et une fois de plus je fais un choix de raison.

 

La vendeuse est élégante et polie. Je lui confie que je n’ai jamais porté de la belle dentelle.

 

-Quel dommage pour vous, me dit-elle, vous ne savez pas ce que vous ratez. Venez avec moi, je vais vous montrer. Avez-vous une préférence pour de couleur ?

 

-Oui du rouge.

 

-Je m’en doutais. Vous aimez le voyant. Vous avez de la chance. Depuis peu le rouge ne manque plus et il existe dans tous nos modèles. À vous de choisir ou préfériez-vous un conseil ?

 

La vendeuse me comprend. Elle me donne un cours complet sur la lingerie.

 

-À la base de tout coordonne se trouve la culotte sous ses formes différentes : en slip, en string, boxer…

 

Vous avez aussi l’alternative d’opter pour un string-jupette avec ou sans jarretelles, un body simple ou un body string. La vendeuse n’est pas pressée. Elle veut me garder le plus longtemps possible au magasin. Je connais l’astuce de ma bibliothèque. Le monde attire le monde.

 

-Passons aux soutien gorges : il y en a avec ou sans armature ; la brassière pour les robes sans bretelles, le bustier classique ou pour redonner du volume, le wonderbra qui fait gagne une taille par ses coussins rembourrés.

Pour finir nous vendons porte-jarretelles, serre tailles, guêpières et corsets.

Pour cacher des dentelles épaisses sous une robe moulante, une combinaison est parfois indispensable.

Et voila tout le secret de la lingerie.

 

Je me décide pour un bustier en rouge vif, assorti d’un string en dentelle de Calais en m’inspirant sur Chloé et - indispensable pour la nouvelle Bella - un beau porte-jarretelles ainsi que plusieurs paires de bas.  

 

Entre temps l’idée sur mes futurs vêtements s’est précisée. J’ai envie de céder à un caprice dont je dû me priver adolescente. Les magasins branchés ne manquent pas. Quand les Sex Pistols ont inventé le punk, je n’étais pas encore de ce monde. Je suis née l’année de la mort de Sid Vicios, en soixante-dix-neuf. Autant que je trouve cette musique inaudible autant la mode associée m’a toujours fascinée. Il n’y a pas d’âge pour rattraper un retard. D’habitude je suis une digne fille de l’arrière pays, assez économe. Une mauvaise langue dirait, près de ses sous. Aujourd’hui j’ai décidé de faire une exception et je m’accorde un budget confortable. J’ai besoin de tout. Je veux me changer de la tête au pied. En rentrant dans une des boutiques dont la vitrine a attiré ma curiosité, je suis en décalage avec la marchandise proposée. En sortant j’ai le look. Je me suis achetée une tenue complète, chaussures y comprises. Dans la poche du magasin je porte mon ancienne peau. J’ai mué comme un serpent. On me regarde encore plus. Maintenant c’est parfaitement compréhensible. Bella, la punkette, choque les bourges. Ça fait un peu ado en retard, mais j’en ai besoin pour me défouler après tant années de rat de bibliothèque. J’ai craqué sur une jupe courte, style kilt, entièrement plissée, motif écossai qui révèle mes jambes fines, gainés de longs bas en coton s’arrêtant au dessus des genoux. Ils affichent des larges bandes transversales, rouges et noires en alternance. Mes pieds sont chaussés dans des bottines vernies, noires à lacets et – j’assume - haut talon aiguille, des stiletto heels comme disent les américains. J’ai un bon sens d’équilibre car je fais beaucoup de gym. Je n’ai aucun mal à marcher sur des talons de dix sans tomber dans le ridicule.

Pour contraster j’ai choisi un chemisier blanc, très échancré sans manches qui se cache sous un blouson perfecto. J’ai aussi claqué des sous pour un collier en cuir clouté pour mon coup, ainsi que des bracelets et des mitaines assorties. Ces accessoires sont rangés dans mon sac. Je ne veux pas exagérer non plus en pleine rue et réserve la surprise pour Chloé.   

 

Chloé avait raison : la beauté se travaille surtout si les données sont bonnes. Ou, serais-ce l’exhibitionnisme provoquant que je dégage qui attire les regards des hommes ? En fait je m’en fiche complètement des raisons. Je suis flattée et encouragée. C’est tout ce qui compte.

 

Pourquoi subitement tant audace ? Hein ben, c’est simple. J’ai accepté quelque chose qui révolutionne ma vie : Une femme ne devient pas un objet par ses vêtements, ni par ses allures, mais par son état d’esprit. Celui qui ne me croit pas devrait se donner du mal à réviser la vraie littérature féministe. Je conseille avant tout la grande Simone (de Beauvoir, bien sur) qui, il y a plus de soixante ans, avait - à mon humble avis   - déjà tout comprise.

 

Le lendemain je me réveille très tôt. Je suis trop contente de mes exploits. Je ne peux pas m’empêcher de ressayer ma nouvelle tenue. Je voulais devenir provocante et j’ai tenu promesse. La Bella du miroir me livre entière satisfaction. Elle me tente et je cède sans scrupules à la tentation sur mon canapé. Il me tarde le rendez-vous du week-end avec Chloé.

 

Je ne peux pas m’empêcher de faire un saut chez ma mère. À cette heure de la journée elle est seule à la maison. Mon père travaille. Je me prépare soigneusement. Je ne vais pas louper ma mère pour lui annoncer que ce dimanche je ne serais pas disponible non plus. Je procède à un maquillage très discret qui souligne la douceur de mon visage par des pastels. J’opte pour une jupe droite, gris souris avec un chemisier blanc à col claudine. Je suis à la montagne et si tôt matin il fait encore frais. Pour la première fois de ma vie je m’accroche une paire de bas, couleur chair à mon nouveau porte -jarretelles. J’ai décidé de m’habituer et d’en porter régulièrement, surtout cet hiver dans ma bibliothèque surchauffée.

 

Comme d’habitude, quand j’y vais chez mes parents, je mets mes souliers plats. Une jeune femme modèle se dessine dans le miroir, digne d’un pensionnat guindé d’une époque révolue. On reconnaît au premier coup d’œil que j’étais élevée à la baguette (sic, mais c’est l’effet que je désire en me préparant et en plus c’est la vérité).

 

Ma mère me regarde avec des grands yeux. Se doute-t-elle de quelque chose ? Sait-elle qu’aujourd’hui elle perdra définitivement toute emprise sur moi, que Bella ferrai la belle ? Je pense à un film avec Arnold Schwarzenegger, terminator. Je suis prête pour le jour du jugement et « je reviendrais »… pas sur mes décisions.

 

-Comment tu trouves ma nouvelle coiffure Maman ?

 

-Un peu trop courte, mais convenable.

 

-Excuse-moi, la coiffeuse avait la main très lourde. J’ai pensé que cela te ferrait plaisir.

 

-Cela me fais plaisir ma chérie. As-tu enfin terminé ta crise d’adolescence ?

 

-Oui Maman.

 

-Quand je pense au souci que tu m’as causé pendant tout ces années. N’as-tu pas honte ?

 

Je suis perplexe par tant de bêtise. J’ai envie de creuser un peu pour mieux comprendre. 

 

-Si, mais c’est aussi un peu de ta faute.

 

-Comment ça ?

 

-Tu aurais du être plus ferme avec moi.

 

-Je te rappelle que tu n’as jamais été privé de martinet Bella.

 

-Je sais Maman et je te remercie de tout mon coeur. Peut-être aurais-tu dû continuer un peu plus longtemps.

 

-Plains-toi auprès de ton père. C’est lui qui a insisté que j’arrête de te corriger.

Mais enfin tu reconnais que cela t’a fait du bien.

 

-Enormément Maman. Je regrette sincèrement ce temps-là.

 

-On dirait que tu regrettes surtout le martinet.

 

-Beaucoup Maman. Parfois je me dis que tout ce sera plus simple, si tu me corrigerais encore de temps en temps.

 

-Ce n’est pas l’envie qui me manque, Bella. Mais tu es adulte maintenant. Cela ne se fait plus à ton âge.

 

-S’il tu plais Maman !

 

- Cherche-toi un homme, Bella. Il te mettra au pli.

 

Ma mère est d’une stupidité invétéré et irrécupérable. Elle ne comprend pas le cynisme. Je ne suis même plus en colère contre elle. J’accepte les évidences sans résignation. Ce n’est pas à moi de changer mes parents. Un sentiment de paix m’envahit.

 

-Bella, j’ai un mot à te dire. Je me fais des soucis pour toi. Je n’aime pas tes nouvelles fréquentations. Cette femme qui est venue te chercher l’autre samedi, qui est-ce ?

 

-Une dame très bien.

 

-Ne me ment pas Bella. Ton frère l’a vu. Il m’a tout racontée. Lui aussi se fait des soucis.

 

Je déteste mon frère. Il a toujours été un fayot. Il sait s‘y prendre avec ma mère sous prétexte qu’une famille doit former un clan uni. Il se croit chez les gaulois, lui. Il est au chômage depuis quelques années. Depuis il n’a pas arrêté de grossir. Maintenant il ne peut plus travailler, car son obésité l’empêche. C’est la faute de sa première femme, bien entendu. Cette salope, comme il aime dire en se délectant du mot, lui a ruiné sa vie. Il se plaint auprès de Maman qui est toujours d’écoute pour son fiston chérie. Il passe des matinées entières avec elle pendant que sa nouvelle compagne, ma belle sœur donc, fait tourner la marmite en travaillant pour son « gros ». Ma belle sœur est, selon mon frère, une femme parfaite, pas comme moi qui ne pense qu’à sa bibliothèque au lieu de soutenir – dans ses heures perdues - son frère dans ses projets. Pour lui je suis une intellectuelle dangereuse, une femme de tête qui manque de féminité. Je devrais prendre exemple sur ma belle sœur qui est bien mieux que moi, qui est beaucoup plus jolie que moi, qui a les sens des valeurs.

 

Parfois mon frère se montre magnanime à mon égard, surtout pour les fins de mois quand je dois participer financièrement à son ménage ou pour lui avancer des sous pour des cadeaux pour sa compagne.

 

-Ton frère se demande, si cette femme ne serait pas une prostituée. Une voiture rouge, décapotable fait mauvais genre. On plus, ça doit coûter les yeux de la tête. Tu m’écoutes Bella. Finalement tu dois avoir raison. Je devrais décrocher le martinet. Es-tu allée chez le coiffeur pour me cacher ta mauvaise conscience ?

 

L’art d’accepter ces parents implique aussi de comprendre qu’ils nous connaissent parfaitement. Tant qu’il y a un lien affectif trop étroit il est impossible de se soustraire à leur emprise. La réflexion de ma mère me passe à côté. Elle ne me blesse plus. Je suis libre enfin. Le cordon ombilical est coupé. J’ai envie de la faire mousser comme elle essaye avec moi.

 

-Chloé est mon amie. Elle est veuve et vends des œuvres d’art et elle en vie très bien comme tu a pu constater. Je ne viendrai pas ce week-end non plus. J’ai encore rendez-vous avec elle.

 

Ma mère, surprise, change le ton, mais pas dans le sens que j’imaginais.

 

-Cela explique ses allures fantaisistes. Pourquoi tu ne l’invites pas chez toi. Cela nous permettrait de faire sa connaissance. Tu sais que ton frère est très doué en affaire. Il pourrait aider Chloé à mieux développer son commerce. Une femme toute seule se fait facilement rouler. Elle aurait besoin de conseil d’un homme. Qu’en penses-tu ?

 

Ma mère déteste sa belle fille. Elle n’est pas assez bien pour mon frère. De là à envisager de caser le gros avec une femme de treize ans son aînée pour le fric et le profit fait perdre à ma mère mes dernières sympathies. Je suis profondément dégoûtée.

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Par isabelle183 - Publié dans : La fille aux cheveux noirs
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Dimanche 15 juin 7 15 /06 /Juin 13:23

                                             CHAPITRE  6.1

 

                                      LA MÉTAMORPHOSE

 

 

J’ai obtenu mes journées sans solde, les premières depuis que j’occupe mon poste. Deviendrai-je moins sérieuse qu’avant ? J’en suis convaincue et cela m’amuse. Les yeux étonnés du maire m’ont presque provoqué un fou rire. Heureusement j’ai pu me retenir. L’influence de Chloé se fait remarquer de partout. Je vois les éventements maintenant sous un autre angle. Le maire n’a pas osé de refuser ma demande. Fascinant ce qu’un petit sourire coquin peut provoquer chez un homme. Comme les actes de la vie courante deviennent simples quand on sait s’y prendre.

 

Je me suis levée tôt ce matin. Je dois être à neuf heures à Toulouse dans un salon de coiffure réputé que Chloé m’a conseillé. Ce salon n’est pas comme les autres. D’abord, il faut sonner pour y entrer. Ici on trie la clientèle. Sans recommandation pas question que l’on vous ouvre. L’intérieur est du style dix neuf cent. Il y a des séparées dans lesquelles on se retrouve seul en tête-à-tête avec la coiffeuse ou le coiffeur de son choix, à l’abri de regards indiscrets. J’ai pris mon rendez-vous avec Geneviève, comme Chloé m’a suggère.

 

-Avec elle tu t’amuser bien et tu peux discuter de tout. Elle est calée en conseils de beauté et ouverte à tout sujet, même au plus coquin. Avec elle, il n’y a pas de stress et la prestation est divine. Parfois je passe la journée entière avec elle.

 

Une hôtesse m’accueille. Elle est habille charleston. Je n’ai pas d’habitude de ce genre de lieu.

 

-Mademoiselle Bella ?

 

Je hoche la tête. Elle me guide dans une pièce parfaitement équipée pour la coiffure. Un petit coin salon complète l’ensemble. Le décor est somptueux. J’ai droit à un thé, des petits gâteaux, des revues de coiffure. Elle me fait discrètement comprendre que je suis l’invitée de Chloé. Je ne cache pas que je me sens rassuré. Voyant le luxe et le service je me suis fait quelques soucis. Je ne suis pas dépourvue d’argent, mais j’ai bien saisi que ce cadre dépasse mes moyens.

 

Je suis curieuse et feuillette les fiches du personnel. Geneviève est une petite brune avec un carré court. Elle l’a l’air sympa et rigolote. Elle doit avoir le début de la trentaine et je ne peux qu’approuver le conseil de Chloé d’après ma première impression. Cette Geneviève m’inspire confiance.

 

Il me tarde de procéder à ma transformation. Pendant longtemps j’ai eu un véritable traumatisme de salons de coiffure. Je n’avais pas digéré mes souvenirs d’enfance. Maintenant ils me semblent tellement loin. Enfin je suis en paix avec moi.

 

Pourquoi je montre subitement un tel enthousiasme pour le court ? Essayons d’abord les écrits du père Freud. Selon la théorie de la séduction j’étais victime d’une mère castratrice qui cherchait un substitut à ses propres insatisfactions de façon pathologique. En me réduisant à une position passive elle exerçait une violence physique et morale à mon égard, en m’imposant sa volonté et ses critères d’esthétisme.

 

J’avoue que ma mère n’a pas eu une vie heureuse avec mon père, surtout au début de leur mariage. Mon père était marqué par une jalousie maladive et la soupçonnait en permanence des infidélités dans son absence. Les disputes à ce sujet étaient légion et il arrivait souvent que mon père levât la main sur ma mère, surtout quand il avait bu. Gamine, j’assistait impuissante à ses excès de violence qui me faisaient peur. Cependant j’ai compris vite que ces scènes finissaient souvent par des réconciliations au lit.

 

Ma mère, une femme forte physiquement et impulsive, se montrait envers mon frère et moi d’une sévérité particulière. J’ai reçu une éducation « traditionnelle » dont ma mère se vantait fièrement dans le voisinage. Je dois ajouter que les coutumes de la campagne ne sont pas tendres. Même dans les années quatre-vingt et quatre-vingt -dix les châtiments corporels n’avaient pas disparu en milieu rural. J’ai partagé le triste sort de beaucoup d’enfants.

 

Freud met déjà en garde les éducateurs contre ces pratiques en dix-neuf cent cinq dans les « Trois essais sur la théorie de la sexualité » et indique clairement les conséquences néfastes. À cette époque il a déjà abandonné la théorie de la séduction au profit du fantasme qui se base sur la vie imaginaire, tel que la personne se représente à elle-même son histoire. Le fantasme ne correspond pas forcement à une réalité vécu, comme j’ai pu m’apercevoir avec « les vacances chez ma tante » où la visite chez le coiffeur était source de sensations agréables et même ardemment désirée.

 

Je perçois plusieurs approches à ma subite tentation dont une me saute aux yeux. Je suis convaincue que je me sente coupable de ma relation avec Chloé envers ma mère et du fait que le week-end dernier j’ai décommandé mes parents au profit de ma nouvelle amie. Pour effacer ma faute j’éprouve le besoin d’une punition qui doit être – mesuré à ma propre échelle de valeur – exemplaire et mon masochisme me pousse à me l’infliger moi-même. Je serais encore plus sévère avec moi que ma mère.

 

D’un autre côté j’ai envie de choquer mes parents en les confrontant avec leurs propres incohérences. Il n’y a aucun rapport entre la moralité d’une femme et la longueur de ses cheveux.

Voudrais-je me débarrasser du fardeau de mon ancien vécu en imaginant que je serais ainsi capable de prendre un nouveau départ ? Je sais que cela est ridicule : on peut se changer la tête par un coup de sissors, mais pas le contenue.

 

Et si le court correspondait tout simplement à mon propre goût, tel que j’aimerais me voir ? Tel que j’aimerais être aperçu dans la vie sociale, alors en avant tout en femme de tête.

 

Geneviève arrive. Elle est encore plus belle que sur la photo.

 

-Bonjour Mademoiselle Bella, je vous souhaite une agréable journée dans notre établissement. Je suis Geneviève et à votre écoute.

 

Elle se tient devant moi. Elle porte une blouse blanche, très courte et des chaussures à haut talon. Encore un uniforme. Comment fait-elle dans ce métier pour passer sa journée sur des échasses.

 

-J’aimerais votre conseil de professionnelle pour mes cheveux, Geneviève.

 

-Avez-vous une petite idée ?

 

-Je vous en parlerai plus tard ! 

 

-Vous avez un visage parfait Bella, les proportions sont idéales, votre nez est sans défaut, les oreilles ont la bonne taille. Votre bouche est bien dessinée et le vert de vos yeux donne envie de le mettre en valeur par une coiffure adaptée.

 

Je ne m’attendais pas à tant de louanges. Peut-être Chloé n’a pas tort et je suis assurément une beauté qui s’ignore.

 

-Vous avez le libre choix ; autant le court que long s’accorde harmonieusement avec votre visage. Avez-vous déjà songé à essayer des cheveux lisses ? Si vous le désirez, je peux défriser les vôtres.

 

-J’aimerais bien abandonner ma permanente. Qu’en pensez-vous ?

 

-Je pense que vous gagneriez dans l’échange. Les permanentes se font de plus en plus rare de nos jours.

Personnellement je vous conseillerais du plus court. Cela mettrait les traits de votre visage en avant. Peut-être un changement de couleur ?

 

-Je serais tenté par du noir bleuté.

 

-Un excellent choix, très tendance. Nous sommes connus pour la qualité de nos colorations. Vous ne regretteriez pas votre ancienne couleur, je vous l’assure.

 

-Que ferriez-vous à ma place ?

 

-Vu la couleur que vous avez choisie, je vous conseillerai du court, style garçonne des années vingt.

 

Je me demande si Chloé n’aurait pas vendu la mèche.

 

-Je vous vous laisser main libre.

 

Geneviève me lave les cheveux. Elle prend son temps pour me masser, doucement au début et de plus en plus intense vers la fin. Je suis extrêmement sensible sur le cuir chevelu et mes frissons de bonheur n’échappent pas à Geneviève. Elle fait durer le plaisir. Puis je passe sur la fameuse chaise.

 

Comme hypnotisé j’assiste à ma transformation. Avec chaque longueur coupée je me sens revivre. J’ai l’impression que Geneviève me débarrasse d’une féminité qui ne reflétait pas ma personnalité et que je me suis sentie obligée d’adopter pour coïncider avec la norme.

Cela explique bien la multitude des négligences dans mes tenues et présentations. Pour réussir dans sa vie il faut être convaincu du produit que l’on vend. La concurrence ne dort pas et il faut focaliser toutes ses forces si on veut s’imposer. J’ai compris avec Chloé que a solution la plus efficace ne tient qu’à un fil : être soi-même avec les autres.

 

Ma longue frange tombe, mes oreilles apparaissent, ma nuque se dévoile. Je me trouve de plus en plus jolie. Cela ressemble bien à ce que j’aivais décrit à Chloé. Je devrais être contente, mon vœu est exhaussé. Pourtant je ne suis pas indubitablement satisfaite. Dans ma tête se dessine vaguement sur un horizon brumeux l’ère d’une nouvelle Bella. Pour l’instant je suis loin, je suis tout au début de mes démarches et je ne sais pas encore comment réaliser mes ambitions, un peu démesurées. Je voudrais atteindre deux buts à la fois : En premier, que le contenu de ma tête soit reconnu, par des actes socialement revalorisant. En deuxième être désirée physiquement par une présentation de mon corps, choisie selon mes propres critères d’esthétisme, cohérences et incohérences. Sur ce dernier point notre culture s’avère avantageuse pour moi. L’exhibitionnisme du corps féminin est parfaitement toléré et j’y compte bien en profiter en poussant mes limites à leur paroxysme. Je réalise que je suis prête à assumer ma métamorphose en objet de convoitise en imposant mes règles. Cela me permettrai une sorte de pré-trie pour n’attirer que ceux enclins aux mêmes délires que moi. Après tout, je voudrais aussi m’amuser dans la vie. Je verrais bien si le sucés sera au rendez-vous.

 

-Ça ira Bella ? Vous ne trouvez pas trop court ?

 

- Au contraire. J’aimerais faire une surprise de taille à Chloé. Elle ne me crois pas chiche pour du ultra court. Ayez la main lourde. Je voudrais un changement radical, sans négliger l’esthétisme bien sur. Nous reste-il de la marge ?

 

-Rassurez-vous, votre visage se prête à tout. Cela est fort rare.

 

-Entre nous, j’ai deux vies bien distinctes. Je suis bibliothécaire dans une petite ville je dois me présenter correctement au travail. Le week-end je me lâche et me permet plus de fantaisie. Il me faudrait quelque chose de conciliable.

 

-Donnez-moi une idée précise de ce qui vous tenterais vraiment. Je suis là pour ça.

 

-Qu’avez-vous à me proposer de plus court ?

 

-Il n’y aura pas de regret de votre part ?

 

-Soyez en rassurée Geneviève.

 

- Je verrais quelque chose de très voyant, très provoquant et … très sexy.

Nous renonçons à la petite longueur dans la nuque et nous dégageons l’arrière de votre tête au maximum, on ne gardant …que le stricte nécessaire.  Vers l’avant nous rallongeons petit à petit. Puis pour le tout devant des petites longueurs qui vous permettront, à l’aide d’un gel, mille fantaisies, du plus sage au plus osé. Qu’en dites vous ?

 

J’accepte avec un sourire qui vient du cœur.

 

Geneviève pose les sissors et se munie d’une tondeuse pour ma nuque. La sonorité me semble en ce moment la musique la plus excitante du monde.

 

-Vous verrez, combien d’hommes seront fous de vous ! Beaucoup n’osent pas s’avouer ce genre de fantasme, mais une fois devant le fait accompli ils auront du mal à garder leur calme.

 

C’est parti. Les vibrations de la tondeuse me procurent un frisson incroyable. Aujourd’hui c’est jour de fête. La guerre avec moi est finie. C’est la libération.

J’ai la chair de poule sous une pluie de mèches qui se déversent sur le sol. Je me regarde à nouveau dans la glace. Je me passe la main dans ce qui me reste de mes cheveux. À l’arrière ça pique drôlement comme des minuscules épines. Ma vie va changer. Qui s’y frotte, s’y pique. La couleur s’applique au pinceau sur des chaumes d’une sensibilité incroyable. L’érotisme de la sensation dépasse mes rêveries d’antan. Ma « tante » aurait l’air d’une hippie à côté de moi.

Pendant la pose de la couleur Geneviève reste avec moi. Ici on ne vous met pas dans un coin d’attente. J’ai droit à une autre boisson de mon choix, préparée sous mes yeux.

 

-J’avoue que j’étais impatiente de vous connaître Geneviève. Chloé m’a parlée tellement en bien de vous.

 

-Merci ! Chloé est une personnalité à part. Elle est éternellement à la recherche de la beauté et des plaisirs en tout genre. Elle vient souvent nous visiter lors de ses passages à Toulouse. Malheureusement je n’ai jamais eu le plaisir d’apercevoir son mari. Elle n’en parlait jamais. Elle m’a expliquée pourquoi. C’était un accord entre elle et son mari qui voulais garder le mystère planant autour de lui en se créant un anonymat le plus strict. Quel homme étrange et si modeste à la fois. La célébrité le laissait froid. Je ne vous dit pas ce que moi j’aurais fait à sa place.

J’avais à peine dix-huit ans quand j’ai débuté ici. L’ambiance est excellente.

Chloé a toujours été adorable avec moi. Elle m’a faite évoluer.

 

La couleur a prise. Geneviève me rince les cheveux. L’eau est agréablement chaude. Je me sens bien et en confiance. Je veux être la plus belle pour Chloé. Après un séchage de quelques secondes j’ai du mal à me reconnaître. Le ultra court avec ma nouvelle couleur me va à la merveille. J’ai énormément rajeunie, malgré me vêtements qui contrastent. On dirait que j’ai tout juste vingt ans et je compte bien profiter à partir de maintenant de mon adolescence prolongée.

Pour le maquillage du jour je fais une fois de plus confiance à Geneviève. Il est aussi réussi que ma coiffure. En me regardant dans la glace je me trouve tellement séduisante. Je suis sur le point de tomber amoureuse de moi. Enfin je me plait et ça remonte mon ego.

En partant, je laisse un bon pourboire, bien mérite, à Geneviève.

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Par isabelle183 - Publié dans : La fille aux cheveux noirs
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Mercredi 21 mai 3 21 /05 /Mai 16:59

                                            CHAPITRE V

 

                              RETOUR À LA BIBLIOTHÈQUE

 

 

Une rêverie du tout début de ma puberté me revient à l’esprit. Je suis invisible et en plus je possède la faculté de traverser des murs. Je me glisse dans un appartement où se trouve une femme inconnue, sans visage avec une jeune fille un peu plus âgée que moi. L’adolescente est couchée à travers les genoux de la femme, sa mère probablement et reçoit une fessée. Elle crie et se débat, mais la mère n’en tient pas compte et continue à la punir.

Je suis fascinée par la scène ; je n’éprouve aucune compassion pour la fille. Au contraire, je me réjouie de son malheur et je souhaite que la mère ne s’arrête pas si tôt.

Une sensation plus que plaisante m’envahit le bas ventre. Je ne se pas d’où elle vient, ni quelle est sa cause, mais je me sens étrangement bien.

Au fil des semaines je me rends compte qu’à chaque fois, en évoquant cette scène, la sensation revient aussi. Elle me plaît tellement que je ne me lasse pas à remémorer de plus en plus souvent ce contexte : le soir au lit, à l’école, pendant la journée, partout et à n’importe quel heure. Je fais une découverte merveilleuse. Quand j’ai peur dans le noir ou simplement quand j’angoisse, par exemple devant un examen, il suffit de faire appel à ma fantaisie et la peur s’estompe. Je suis aux anges.

Petit à petit je me prend des libertés et commence à intervenir sur mon scénario. Certaines modifications amplifient la sensation du bas ventre, d’autres me font retomber dans la réalité. Alors je change un peu le décor, je rajoute des scènes, je travaille mes personnages. J’attribue un visage à la femme. Parfois c’est une voisine, une commerçante, une femme de passage. La fille devient une copine d’école, une petite peste du village, toujours une personne qui m’est familier, jamais un personnage de la télé ou des journaux.

Ce qui est merveilleux avec les fantasmes et ce qui fait leur force c’est le fait qu’ils n’obéissent pas à la logique de la réalité. Les personnages sont toujours disponibles et consentants. Ils agissent tel qu’on le souhaite et se prêtent aux situations les plus absurdes.

Je découvre le pouvoir des mots que j’emplois pour me raconter mes histoires. Certains sont en rapport direct avec mon bas ventre et quand je les évoque, la volupté atteint des sommets (par exemple le terme fessée est jouissif, raclée ou volée sont neutres et par conséquence exclus).

Un incident de la vie courante m’apporte des détails supplémentaires. Je suis insolente au supermarché avec une nouvelle vendeuse. Normalement je suis timide et ce genre de comportement ne m’est pas familier.

 

-Si tu étais ma fille, tu auras droit à une bonne fessée, cul nu, me dit-elle.

 

Avec ce que je viens de raconter plus haut, on comprend pour quel motif je rougis profondément. Mon inconscient s’exprime.

Depuis ce jour et pour très longtemps, cette vendeuse obtient une place fixe dans mon fantasme. Elle à environs trente ou quarante ans. C’est difficile pour une gamine de onze ans d’évaluer l’âge d’un adulte. Je n’emplois que deux catégories : adultes vieux ou adultes pas trop vieux La vendeuse fait parti des pas trop veilles. Elle n’est pas très grande, mais très énergique et je n’ai aucun mal à l’imaginer de fesser vigoureusement une petite insolente. La femme porte une courte blouse blanche et s’occupe de la vente de charcuterie et de fromage à la coupe. Elle est blonde décolorée avec des cheveux coupés très courts.

Avec le recul je dirais ce qui a motivé mon insolence c’est la coiffure de la femme qui m’attire étrangement.

Le soir j’intègre les nouvelles données. La petite peste a encore fini le jambon (le pâté, le fromage…). Surprise par sa mère, elle reçoit sa punition. Ce jour marque un changement fondamental. J’essaye de m’imaginer à la place de la peste, processus déclenché par les mots de la vendeuse. Au début j’ai du mal à m’impliquer, de quitter ma place confortable d’observatrice, de troquer ma passivité. J’ai trop honte, refuse d’endosser ce rôle. Mais le trouble, une fois installé dans mon âme, ne me lâche plus. Quelques jours plus tard je suis prête. Mon bas ventre me récompense largement pour mon audace. Puis, je me sens si tendue que ma main descend lentement pour cerner le centre de la sensation. Je me souvient soudainement où il fallait mettre la main. Une pratique oubliée depuis des années me revient. La masturbation me désinhibe complètement.

 Quelques semaines plut tard mon scénario atteint une forme élaborée :

La vendeuse est une tante fictive et je passe chez elle mes vacances d’été. Elle vit seule. Elle est réputée pour être sévère.

 

-Chez moi, tu as intérêt à obéir à la lettre, dit-elle, sinon c’est la fessée, cul nu.

 

Elle me fait peur, mais en même temps je suis délicieusement bouleversée.

 

-Tu aurais besoin aussi d’aller chez le coiffeur. Tu sais que je n’aime pas les cheveux longs. Ceci n’est pas hygiénique et va de paire avec des mauvaises manières. Une jeune fille bien éduquée porte ses cheveux courts. Demain on ira ensemble pour une jolie coupe. Tu verras, tu te sentiras mieux dans ta peau.

 

Cette partie fusionne partiellement avec la réalité. Ma mère ne m’autorisait pas des cheveux longs et malgré mes contestations j’ai dû me plier à des coupes courtes jusqu’à tard dans l’adolescence.

Je proteste violement. Ma tante va chercher un martinet, me renverse sur ses genoux, soulève ma jupe, baisse ma culotte et me corrige durement. Ce ne sont pas les brûlures des coups que je ressens, mais l’agitation de mon bas ventre. Je confonds une sensation imaginée avec une autre, réelle et bien différente. Ce genre de confusions est le fond du commerce du fantasme. Apparemment, il est facilement possible de rapprocher une excitation réellement ressentie à n’importe quel contexte ou situation d’une aventure imaginaire.

 

-Je serai sage ma tante. Il me hâte demain.

Cette phrase résume mon plaisir masochiste   - ici dans le sens de la passivité – de me soumettre à la volonté de ma tante. Evidement cette tante est un autre aspect de moi. Elle sert de prétexte pour m’autoriser à ce que je m’interdit et ce que je n’ose pas m’avouer.

Le lendemain, à la fin de la matinée, j’ai des cheveux courts comme ma tante.

Ici s’exprime ma honte de me voir ainsi. Pour rendre cette pénible situation, venant de mon vécu, supportable, ma honte s’est transformée en plaisante sensation physique.

Ma tante avait donc raison, je me sent vraiment bien qui veut dire : mon bas ventre jubile à l’idée.

Deuxième étape. Je n’ai pas le droit de me servir au frigo sans demander l’autorisation. Comme dans la réalité. Malgré l’interdiction je ne peux pas résister à la tentation d’un bon fromage que je finie avec appétit. Ceci n’échappe pas à ma tante et j’ai droit à une autre punition, qui m’excite autant et de la même manière que la première et qui me parait entièrement justifié.

Inutile de dire que je passe presque tous les jours des vacances d’été chez ma tante. Je suis si bien avec elle. Mais tout bonheur à une fin. La mort du fantasme est la prise de conscience. Bien sur, je sais en théorie ce qui se passe entre un homme et une femme pour faire des enfants. Je sais aussi comment font les animaux. J’ai grandi à la campagne. Mon frère, de deux ans mon aînée, à l’heureuse idée de me montré en absence de nos parents un film vidéo que mon père cache dans son armoire. Subitement je comprends que les sensations en jeu dans mes divertissements nocturnes sont ceux de la sexualité qui se pratique selon le code des adultes entre un homme et une femme. Comble d’horreur, l’homme introduit son pénis dans le vagin de la femme. Ça doit être affreusement douloureux, vu la taille d’un pénis en érection. En plus je vois ce liquide blanchâtre y sortir. Je suis dégoûtée.

Mes premières règles arrivent. C’est gênant, ça fait mal et il faut mettre des tampons. Je suis une femme maintenant, je peux avoir des enfants.

Dans mon désespoir je rajoute un épisode de plus à mon scénario : pour me punir, ma tante me donne de la crème épilatoire à cause des poils dégoûtants, pour être propre à nouveau. Que je ne ferrais-je pas pour me préserver de grandir.

Dans ma famille tout le monde se pose la question pourquoi je m’obstine à refuser de faire des courses au supermarché, surtout au rayon de coupe.

Je suis profondément désespéré. Mon fantasme, si jouissif, n’a rien en commun avec la vie des adultes. L’idée de l’acte sexuel n’est nullement réjouissante. Elle me répugne. Comment vais-je faire pour devenir une vraie femme ? Les actrices dans le film porno avaient l’air d’apprécier. Elles prenaient même le sexe de l’homme dans leur bouche

Ne savent-elles pas qu’on ne fait pas les enfants de cette manière ? Elles confondent aussi leur vagin avec leur anus. Sont-elles si bêtes ? Les hommes aussi me paraissent assez stupides et maladroits. Ils déversent leur sperme sur les fesses de la femme ou parfois sur son visage. Le monde des adultes est difficilement compréhensible pour une adolescente. Comment faire pour s’y adapter.

Je ne retiens qu’une seule chose. Mon fantasme ne correspond à rien, ne serais-ce ce qu’on appelle la perversité. Je suis un monstre, mes désirs sont inavouables. J’ai honte le soir quand les vacances chez ma tante me harcèlent. Je ne veux plus y penser. Je me bats, mais je perds souvent.

Mon fantasme change. Ce n’est plus moi, l’adolescente pas sage. Je suis devenue celle qui décide de la punition et qui l’applique. J’ai inversé les rôles. Ma tante aussi change, de visage et de sexe. Elle devient un jeune homme à peine plus âgé que moi. C’est lui qui se comporte avec désinvolture. Heureusement je suis là pour lui enseigner la bonne conduite. Le martinet à la main, n’importe quel prétexte est bon pour lui faire sa fête. Mais il est aussi à mes petits soins, style bisous, caresses et timides pas vers la hétérosexualité.

Dans la réalité j’établie les premières relations avec des garçons.

Vers l’age de dix-huit ans mon fantasme est toujours actif. Toutefois de moins en moins souvent. Ma première expérience sexuelle avec un garçon n’est pas trop douloureuse. Sur le plan de la jouissance décevante.

Depuis quelques jours mon imagination s’est mise en route comme au bon vieux temps. Imprégné par les histoires que Chloé m’a raconté, mélangé à mes propres élucubrations, inspirées par l’œuvre de M. Ce ne sont pas les modèles réels de celui-ci qui me guident, mais les tenues et les situations. Mes acteurs et actrices n’ont pas besoin d’un visage. Habillée en provocants vêtements, super sexy, je fais marcher les neuf muses absolument nues au pas cadencé à travers de mon village. Je suis très à cheval sur la discipline car je juge leurs activités futiles. Ma façon d’exprimer ma jalousie envers Chloé et son monde. En avançant sur une entraînante musique militaire, mes muses s’apprêtent à entrer dans la vie active, commencée par une visite chez le coiffeur. Leur longue chevelure d’allumeuses flotte au vent. Au salon chacune reçoit par mes soins une fessée mémorable avant de passer à la coupe. Plus tard neuf filles, bien assagies, en blondes décolorées, les cheveux courts, se tiennent au garde à vous devant moi. Chacune reçoit un uniforme différent et doit se consacrer désormais au métier correspondant.

Le coiffeur me félicite pour mon autorité et mon savoir faire.

 

-Mademoiselle, avez-vous des ouvrages sur la culture de légumes ?

 

Une dame d’un certain âge me rappelle impitoyablement mon quotidien. Je suis derrière mon bureau à la bibliothèque. On est lundi matin et il me reste cinq jours à travailler avant le week-end, sauf si mon congé sans solde pour le mercredi et le jeudi soit accepté par le maire. J’envie Chloé qui est libre d’obligations. À ma prochaine rêverie ce serait elle qui marchera au pas avec les autres. Je réalise que ma fantasmagorie ne me procure plus la moindre mauvaise conscience. À vingt sept ans ce n’est pas trop tôt. Grâce à Chloé. Pour la remercier, elle sera exempte de coiffeur. J’irais à sa place

En classant des livres, je pense à ce merveilleux jour de détente avec mon amie.

Je crois qu’elle a raison. Une femme, reste une femme avec ou sans poils. C’est sur, Chloé assume sa féminité sans se poser des questions superflus. Et moi dans tout ça. Où est ma place ? Comment me situer ? Moi aussi j’ai des désirs. Moi aussi je suis une femme, une vraie, sauf que je n’avais pas le courage de vivre mes pulsions. Je me suis enfermée dans mes rêveries érotiques depuis mon adolescence, en me claquant ainsi la porte vers la vie, vers les autres, vers le partage. Avec Chloé je me suis rendue compte que les autres aussi sont hantés par leurs fantasmes.

Peut-être Chloé estime simplement que je sois bête parce que je me prive de sensations. Non ! C’est mon amie. Elle ne pense rien de mal de moi. Elle est ma complice, ma confidente.

Le contact avec elle me réussit. Au fil des semaines j’ai constaté le progrès. Je suis en train de résoudre enfin mon étrange rapport avec mon corps, avec ma féminité. Chloé a passé – dans sa baignoire   - l’éponge sur la honte que je traîne depuis mon adolescence. Je me sens soulagée, libérée, car enfin je peux mettre des mots sur mes ambivalences. Ce procédé est vital pour moi. Alors j’essaye de récapituler.

Une rêverie érotique est un pur produit d’esprit qui déchaîne une réaction physique, une excitation sexuelle. Elle exprime une passivité et n’a pas besoin d’une action, ni d’une autre personne. Détachée du corps en quelque sorte, elle se vautre dans une solitude frustrante qui est en même temps un univers d’omnipuissance où je règne en maîtresse absolue. Tant que je rêve, je suis farouchement opposée à la réalité. Or mon désir profond est la concrétisation. C’est là où se situe la source de ma gêne, ce sentiment de confusion, à cause de la peur qu’un autre être humain saisisse l’inavouable en moi, me rejette pour cette raison, éprouve de la répugnance à mon égard, se moque de moi ou pire encore dénonce aux autres ce que j’aimerais cacher.

Quel est donc l’inavouable ? Il s’agit de mes désirs sexuels bien sur. Je fais l’expérience avec « ma tante ». J’étais gênée en face de la personne réelle parce qu’elle faisait parti de mes désirs et que je me sentais sexuellement attirée par elle.

Je me considère comme une personne particulièrement portée sur la chose. Mon éducation a tenté de me convaincre que cela soit un mal qu’il faut combattre avec toutes ses forces. Alors je m’efforce de m’attribuer un statu asexué. J’évite les tenues suggestives, les maquillages invitants, les comportements provocants et je me sens frustrée par privation de sensations. Ma gêne m’empêche de m’épanouir. J’ai honte de moi et de ce que je suis, une femme trop encline à une sexualité qui refuse de se confondre avec la norme.

Mon père disait souvent : Nous sommes pas des bêtes. Ce vrai, les bêtes ne connaissent pas la gêne, ni la honte, ni la pudeur. Sa réflexion visait le côté animal en l’être humain : sa sexualité. Celle-ci n’est plus un tabou dans notre société, mais la loi nous oblige à la cacher où au moins de la pratiquer dans des lieux destinés au libertinage. Quelqu’un qui ne respecte pas ces règles, porte atteinte à la pudeur par son obscénité. Mes tendances exhibitionnistes me mettant devant ma propre obscénité. Je rêve d’être obscène, de provoquer des désirs violents chez les autres. C’est une façon déguisée de me révolter contre mes parents et … de dominer les autres.

Nietzsche à dit : Il n’y a pas de phénomènes moraux, seulement une interprétation morale des phénomènes. L’adjectif moral se rapporte à la moralité, c’est-à-dire il concerne les mœurs et non à la morale, la science du bien et du mal. Cette distinction n’est pas évidente pour tout le monde surtout quand on est distrait comme mes parents. En réalité deux notions se chevauchent : la moralité concerne « ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. Je pense aux « Inconnues », les célèbres humoristes. Dans leur film « Le pari » concernant les cigarettes on se souvient avant tout de la réplique culte : « Bien » ou « pas bien ». Le « pas bien » n’est pas le mal. La morale par contre distingue le bien du mal. Il faut un certain sens de notre langue pour remarquer la finesse. Revenons à la phrase de Nietzsche. Elle est tirée de son livre : Par delà le bien et le mal. Visiblement il s’agit d’une difficulté de traduction remaniée au mieux par un spécialiste. Alors je ne veux pas non plus trop blâmer mes parents.

Tandis que la moralité est une affaire concernant des localités, la morale dépasse les frontières, même ceux des pays. Cette dernière, dans un sens, uni les pays de la communauté européenne. Elle est son échelle de valeur. Que penser d’un pays qui donne priorité à sa moralité en votant « non » contre l’Europe par peur de ce qu’on ne connaît pas, parce l »Europe n’est « pas bien ». Mais ce « non » était construit essentiellement par des électeurs ruraux. Les citadins en majorité ont préféré le « oui ». Moralité : Entre ville et campagne, la moralité n’est pas la même, mais aussi : la moralité est une affaire personnelle et la morale une affaire officielle, or la sexualité relève de la moralité. Dans ce sens mes parents sont esclaves des leur propre moralité qu’ils confondent – et je les connais bien – avec la morale en me répétant toujours la même chanson : arrête de faire ceci ou cela Bella, c’est mal.

« Pas bien » de raisonner comme ça.

Je n’avais pas le courage jusqu’à maintenant de me libérer des liens trop étroits que j’entretiens avec ma famille, ma mère notamment, pour découvrir le vrai visage de la vie.

Je ne veux pas rejeter la faute uniquement sur mes parents. J’estime que l’erreur vient en grande partie de moi et c’est à moi de remédier à une situation qui me paraît invivable. Il s’agit de m’affirmer en personne indépendante en face de mes parents. Je me sens d’attaque et la gêne qui hante la vie des petits gens, s’est évaporée dans la baignoire de Chloé. Je suis passée enfin de l’autre côté.

Mais je suis une intellectuelle, la seule de ma famille, la seule de mon entourage social. Le monde de l’esprit obéit à ses propres règles. Je suis un intrus et je dois me familiariser avec des conceptions abstraites que j’ai du mal à assimiler. Notamment le féminisme me pose des problèmes de compréhension. Je ne sais pas encore comment concilier mes fantasmes, tantôt de dominatrice, tantôt de soumise, avec mon émancipation (selon le Larousse : mettre hors tutelle, affranchir de quelque entrave, sortir des règles de la retenue). Je n’ai pas envie de précipiter les choses. Comme Chloé m’a faite comprendre à juste titre, je suis une personne qui ai besoin de temps pour faire le tour d’une question et ce temps je me permets de le prendre sans demander autorisation à personne. Cela me paraît un moyen efficace pour éviter de m’engouffrer dans un féminisme de pacotille qui fait tellement mal aux justes revendications des femmes en les faisant passer pour des illuminées qui font hurler de rire. J’ai déjà un départ pour mes recherches qui me semblent prometteur, c’est le mot égalité.

Un lecteur arrive ; il me demande les pensées de Pascal.

 

-Deuxième rayon à gauche Monsieur.

 

C’était une question facile à répondre. Mais où sont mes pensées. Elles sont avec Chloé. Autour de moi tout n’est que silence comme exige le lieu.

Est-ce que son mari lui manque ? Elle a dû l’aimer à la folie. J’en suis sure. Il était son premier homme, mais quel homme, quel monument ; surtout pour une fille de milieu modeste, obsédée par l’ambition de se faire une place dans la société. Rien dans le comportement de Chloé ne trahit ses origines. Elle a son style à elle, elle est unique. Une pierre tombale vivante, un édifice impressionnant pour un peintre hors du commun.

Comment a-t-elle vécu sa disparition ? A-t-elle pleuré derrière ses lunettes noires le jour de la crémation. A-t-elle dispersé les cendres sur la mer qu’il aimait tant.

Était-il fidèle, lui qui avait l’embarras du choix parmi ces modèles.

Était-elle fidèle ? Son mari passait beaucoup de temps dans son atelier. Et quand il faisait une pause et venait pour se laver les mains ou prendre une douche, il trouvait la salle de bain occupé. Après tout, pour offrir une salle paradisiaque, il faut plus qu’aimer une femme, il faut l’adorer à un point inimaginable, l’idolâtrer, pour la mettre sur un piédestal en forme de coquille.

Faisait-il bien l’amour ? S’amusaient-ils tout les deux dans leur baignoire ? Était-il de bon humeur le matin après une nuit blanche de travail.

Questions sans réponse. Vais-je percer un jour le secret de cet homme ou suis-je jalouse d’un mort ?

Eh bien oui, je suis jalouse de lui, amant et mari de Chloé que je n’ai pas connue ; jalouse de n’importe qui s’approchant d’elle. Je la veux en exclusivité. Je ne veux pas qu’un autre que moi la voie nue, la touche. Je suis jalouse de sa coiffeuse qui lui lave les cheveux et encore plus de son esthéticienne qui la bichonne tout les matins. J’aimerais enfermer Chloé pour mon plaisir personnel. Son mari, avait-il les mêmes pensées que moi ? A-t-il construit des palais de rêve pour qu’elle ne s’en aille pas, qu’elle reste à la maison ?

Se faisait-elle épiler le pubis pour lui, pour rassembler à la jeune fille qu’il avait rencontré ? Voulait-elle rester éternellement jeune pour lui ?

Je suis effrayée par ma possessivité. Je ressemble à une sale gamine gâtée (visiblement le terme sale me hante) qui réclame sans cesse sa copine auprès d’elle.

Il y a deux raison pour se sentir attirée à ce point par une autre personne : le désir ou l’amour.

Simone de Beauvoir a dit : La réflexion est l’ange exterminateur de la spontanéité.

Je déteste la spontanéité. J’ai besoin de l’ordre dans mes sentiments, comme l’ordre que j’impose aux livres de ma bibliothèque. Avec moi, comme des petits soldats, ils se tiennent au rang. Dans mes étagères règne une discipline militaire. Adolescente j’ai hésité à m’engager dans l’armée par goût pour une discipline poussée que j’aime autant subir qu’imposer. Étrange similitude avec Chloé qui adorerait comme moi de marcher au pas. Éprouve-t-elle parfois, comme moi, le besoin d’abandonner sa volonté à quelqu’un d’autre pour un instant d’insouciance ?

L’amour, je connais. J’ai aimé mon mari avant qu’il me trompe. M’a-t-il trompée parce que je suis trop réfléchie ? Avec une Chloé il serait resté, il serait toujours là. Il ne penserait pas à ces copains de chasse. Il n’aurait plus besoin d’eux. Ce serait lui qui aurait emporté le plus beau trophée.

Quoique ? Chloé n’aurait jamais choisie un con pareil. Elle cerne de suite le fond d’un homme et préfère celui qui chasse des idées grandioses au lieu d’un lapin ou perdrix.

Si ce n’est pas de l’amour entre Chloé et moi, c’est quoi alors ? Le désir d’une passion charnelle qui me consume de l’intérieur, qui m’échauffe, qui m’excite ?

Une citation de Ionesco me vient à l’esprit : Caressez un cercle et il deviendra vicieux.

Je décidée d’embarquer avec Chloé. Pour l’instant ce sera elle le capitaine. Je voudrais entrer dans son jeu, essayer de l’étonner comme elle m’étonne. Moi aussi j’ai des choses à lui montrer. Mais lesquelles en fait ?

Il est midi moins le quart ; plus personne dans la salle. Je peux fermer avant l’heure.     


Suite

      

Par isabelle183 - Publié dans : La fille aux cheveux noirs
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Mardi 29 avril 2 29 /04 /Avr 18:59

                                                      4.1 Le Bain


Il fait chaud dès le matin. En entrant dans la bibliothèque je suis accueille par une odeur de cirage à l’ancienne. La femme de ménage passe inlassablement avant moi le samedi matin. L’atmosphère de la salle est lourde et pesante. Il n’est pas possible d’ouvrir les fenêtres entièrement. Elles permettent uniquement une position penchée. Il faut prendre son mal en patience que l’air fraîche trouve son chemin. J’ai l’habitude de cet inconvénient, autant plus que je suis orientée plein sud. En été je me sers d’un petit ventilateur, posé en face de moi sur mon bureau.

 

Comme tous les matins, je jette un coup d’œil sur mes plantes. Elles sont en pleine croissance, vu l’effet de serre de la salle et la bonne exposition. Certaines sont surdimensionnées et me posent un sérieux problème de place. Je pense aux petites boutures que j’ai amené, il y a cinq ans quand j’ai obtenu cette place. La terre est sèche et je les arrose un peu plus pour qu’elles ne me prennent pas un coup de chaleur dans mon absence le dimanche.

 

Le facteur arrive. Parfois il reste quelques minutes et on discute, surtout en hiver. Je ne pense pas qu’il s’arrête pour moi, mais plutôt pour la chaleur. La mairie est généreuse, la culture se consomme dans un endroit bien chauffé par période de froid.

 

Aujourd’hui cet homme est pressé. Normal, après sa tournée, c’est le week-end. Moi, j’ai des heures fixes, souvent des heures de présence. De neuf heures à midi et de quatorze heures à dix huit heures ; sauf le samedi et le mercredi où je ferme l’après midi.

 

Le facteur me porte le journal que je range - une fois lu - sur le présentoir. J’entends le bruit de l’horloge qui date du début du siècle dernier. Dehors défilent les voitures. Le samedi une interminable colonne s’avance vers l’Andorre pour faire le plein d’essence, acheter des cigarettes, de l’alcool, du beurre. Il y a tellement de passage que bruit devient monotone et forme un fond sonore auquel on s’habitue.

 

Personne ne s’arrête pour moi ou plutôt pour mes livres. Parfois je passe des matinées entières seule. De temps en temps je ferme pour une demi heure, manière de faire des courses, de poser une commande de livres à la mairie. J’ai un budget à respecter, sinon on ne me pose pas de questions. Je suis libre de commander ce que j’ai envie. J’ai dans mes rayons des revues de femmes, de beauté, de décoration, de cuisine. C’est effrayant ce qu’on peut lire quand on a le temp. Je suis au courant des dernières publications et quand elles m’intéressent, je les commande. C’est rare qu’un lecteur souhaite un livre en particulier. Ils se contentent en général de ce qu’ils trouvent. Il est rare aussi, qu’on me demande un conseil. Je fais partie de la salle et on me considère comme un accessoire du lieu.

 

Je pense à Chloé. Elle doit être sur la route. Nous avons rendez-vous à midi pile. Chloé est d’une ponctualité irréprochable. Je ne suis jamais allée à la côte perpignanaise, situé à moins de quatre heures de route. Peut-être parce que le chemin est difficile, à cause de tous les tournants à travers les Pyrénées. Quand on ne connaît pas un coin et quand on est seule, on n’a pas forcement envie de se déplacer.

 

Je prends un livre illustré sur Banyuls, pour me documenter. Une femme entre dans la salle. Un bonjour fugace, avant de s’orienter vers les biographies historiques et contemporaines. Je connais bien cette dame. Elle ne parle que le strict minimum et se contente de retracer la vie des autres.

 

Mon pied caresse mon sac de voyage. J’ai même pensé au chapeau. Chloé roule en décapotable. Elle aime le soleil, tandis que ma peau est plutôt fragile.

 

La femme repart avec une nouvelle acquisition qui est arrivée hier. Elle ne s’en doute pas un instant que j’ai choisi ce livre pour elle. Décidément je dois être une bonne bibliothécaire. Je ne me trompe rarement sur le goût de mes habitués.

 

Dommage qu’il n y’ait pas de miroir. J’ai envie de me regarder. Ai-je peur de déplaire à Chloé ? Je me suis mise en pantalon, toile écrue, comme celle de la jupe de la fille de Dali qui regarde le port. Pourquoi je ne me suis pas mise en robe. Pas assez sérieux pour mon travail. Bon prétexte pour un manque de courage.

 

-Bonjour Monsieur !

 

-Bonjour Mademoiselle !

 

C’est un curiste. Il est mignon. Il ne prend même pas le temps de me regarder. Mon T-shirt a un fond blanc avec des fleurs rouges et roses. Le monsieur m’a parlée, donc, sans le moindre doute, il ne m’a pas confondue avec une des plantes.

 

Les babies sont neuves, blanc nacré. Il faut aller à Toulouse pour en trouver. En tout cas, ils sont confortables. Mon soutien gorge avec effet pigeonnant garantie, passe inaperçu. Publicité mensongère.

 

Je mets le tampon de sortie sur les deux policiers. Quel bon détective qui ne sait même pas observer. Mais le monsieur n’est pas un détective, il est en vacance et profite de la cure, proposée et gracieusement offerte par la sécu.

 

Ma culotte est assortie au soutien gorge, font blanc, petites fleurs roses. J’ai hésité entre la version classique et échancrée. C’est l’empreinte de Chloé qui arrivera dans vingt six minutes. Avant c’était du classique et la question d’un choix ne se posait pas. J’étais embarrassée pour passer à la caisse. Pourtant la fille avait mon age, mais l’uniforme du magasin lui attribuait un air irréel. Heureusement je ne suis pas obligée de porter une tenue spéciale.

 

La seule tenue qu’on exige de moi, c’est le registre des livres.

 

B. se dessine dans ma tête à travers des photos d’une revue : une promenade avec un petit port, une mer vermeille, des plantes de la méditerranée, un dépaysement total.

 

Midi pile, l’horloge et le clocher du village sont en concordance. Une troisième sonorité apparaît, un coup de klaxon, c’est Chloé.

 

Sur un font en brique rose, superposé d’un ciel bleu tableau, en face de la bibliothèque on ne voit que la décapotable rouge vif de mon amie. Les regards des hommes, sur la terrasse du bistro à côté, sont tous braqués sur Chloé. En général, à cette heure de la journée, les hommes sont plutôt apathiques et la soif remplace la curiosité.

 

Moi, je passe inaperçu jusqu’aux moment où j’entre dans leur champ de vue, en posant mon sac de voyage sur le siège arrière de la voiture. Chloé, dans sa robe d’été en couleur vif, avec ses longs cheveux qui reflètent le ciel, est splendide. Une apparition exceptionnelle dans une petite ville de passage où on est habitué de tout voir. Elle dépasse le cadre touristique. Ca va bavarder sec au village.

 

Je prends place à ses côtés. L’odeur du cuir des siéges me change agréablement de mon cirage de parquet. La place est chaude, remplie de soleil.

 

-Bonjour ma petite Bella. Tu t’es sagement mise en beauté pour le grand voyage. Tu seras pas déçue.

 

Déçue par Chloé ? Impossible. Avec elle c’est du nouveau à chaque instant, du non vécu qui se réalise. Et hop, on est partie. Après le rond point, en laissant l’église sur la gauche, nous prenons la route du col de Chouilla.

 

-Comment s’est passée ta journée, se renseigne Chloé.

 

Son pied droit, en sandale jaune laqué, survole l’accélérateur. L’air frais se fait sentir. Je lui parle du détective qui a dédaigné de me remarquer.

 

-Et toi ? T’as essayé de chercher son regard et de le capter ou t’as simplement fait confiance à ton nouveau soutien gorge ? Je suppose que la culotte est assortie, sûrement échancrée.

 

Je suis époustouflée. Rien n’échappe à la vigilance de cette femme. Je lui demande comment elle a deviné.

 

- À ta façon de t’asseoir. N’oublie pas que mon mari était peintre. C’est une bonne école pour une jeune femme.

 

Elle parle avec grande tendresse de son mari, sans jamais se perdre dans la sentimentalité. Elle n’a pas besoin d’éviter ce sujet douloureux. Apparemment elle est en paix avec son passé.

Ce genre de confidences me va droit au cœur. Chloé sait me mettre à l’aise. Je lui parle donc de mes états d’âme devant la caissière.

 

-Ne me dit pas que tu aurais peur des uniformes Bella. Ils servent justement à rendre une personne impersonnelle pour ainsi désinhiber un potentiel client.

 

-Ce n’est pas vraiment cela qui me tracasse. Je dois t’avouer que les uniformes me troublent, pas pour ce qu’ils représentent. C’est plus profond que ça. Je pense entre autre à une série de tableaux de ton mari, particulièrement équivoque.

 

-Tiens donc, encore une amatrice des « femmes en uniforme ». Es-tu titillée par le fait que quelqu’un en porte ou aimerais-tu en porter toi-même ?

 

Avec Chloé il n’y a pas de détour. Elle va droit au but. Je me sens un peu piège. Après tout je l’ai bien voulu, même cherché.

 

-Les deux. Ne me méprend pas, je ne rêve pas d’un monde où l’ordre et discipline règnent en seul maître. Mais ces peintures m’ont causés des nuits blanches quand je les ai découvertes à seize ans.

 

-T’as pas à te justifier Bella. T’es tombée dans le panneau comme tant d’autres. Le but de cette série est précisément ce délicieux trouble, si incohérent et si obsédant. La dimension érotique de cette série est autant voulue que l’excitation quasi sexuelle qui s’empare du spectateur.

 

-Excuse-moi avec tout le respect que je dois à ton mari, Chloé, peut-on déduire qu’il était un obsédé ?

 

-Et comment ! Mais pas dans le sens que tu imagines. Son obsession tendait vers le but de rendre ses peintures aussi percutantes que possible. Il a travaillé pendant des mois pour élaborer des nouvelles techniques pour que ces femmes en uniforme semblent sortir du cadre, qu’elles s’interposent par leur coloris entre le fond du tableau et le spectateur comme une nouvelle réalité, un obstacle incontournable, captivant toute attention.

Malgré un érotisme agressif l’accueil de la critique fut unanimement enthousiaste. M. leur avait proposé un prétexte incontournable pour leurs louanges : La qualité de sa technique qui atteint un relief et une brillance rarement égalé. On aime ou on n’aime pas, mais le résultat est de toute beauté. Il a tout vendu le jour du vernissage, consécration méritée pour un travail de précision. C’est à partir de ces peintures que les créateurs de mode fétichiste ont conçu des lignes de lingerie et accessoires dans des latex et cuirs multicolores en dépassant enfin le stricte dress-code du noir. Une vraie révolution.

 

-Quel est ton point de vue personnel sur les uniformes Chloé ?

 

-J’adore en porter. J’ai une collection impressionnante : soubrette, nurse, avocat, militaire, pervenche et ainsi de suite. Tu fais à peu près la même taille que moi. Si tu le désirais, je te les ferrai essayer un jour. Tu verras, c’est une expérience inoubliable qui émue de la tête au pied.

 

-Je n’en doute pas un instant. Si tu savais quel genre d’idées m’a traversé l’esprit quand j’ai feuilleté le catalogue de l’exposition. Adolescente, j’étais tellement mal dans ma peau que je voyais dans les uniformes une échappatoire dans un monde imaginaire et sensuel. Laisser ma personnalité qui me pesait au vestiaire pour endosser un uniforme, me changer en une autre qui ignorait les complexes ; se cacher sous un déguisement pour réaliser des fantasmes qui me hantaient. Le tout dans une dépersonnalisation complète qui ne connaît ni tabou ni interdit, protégé par une carapace. Je ne voulais être que corps, que sensation, que sensualité.


suite chapitre 4.2


 

 

Par isabelle183 - Publié dans : La fille aux cheveux noirs
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Mardi 29 avril 2 29 /04 /Avr 18:55

                                                4.2  Le Bain 


-Fantasmes masturbatoires ?

 

- Pas souvent. Je me plaisaiS tellement dans mon état d’excitation qu’il devenait une finalité en soi que je m’obstinait à maintenir par peur de retomber dans la réalité décevante. Quand cela m’arrivait de me masturber, après des orgasmes intenses, la culpabilité me rejoignait et je m’interdisais même la pensée à ce que je venais de vivre. J’essayais de ne plus recommencer le plus longtemps possible. Chaque jour que je tenais bon, je le marquais dans mon agenda. Mes idées me semblaient inconcevables avec une sexualité entre un homme et une femme et je me posais la question si l’acte, débarrassé de mes frivolités imaginées, réservait encore une surprise quelconque. 

 

-On dit que c’est la transgression d’un interdit qui provoque les émotions les plus fortes.

Un jour, j’ai posé en tenue de militaire pour un tableau. Pendant l’interminable heure où M., absorbé par son travail, s’entourait de silence, je m’imaginais sous les ordres d’une femme qui me faisait marcher au pas, accompagnée d’une musique ridiculement entraînante. Pour chaque faux pas, elle me frappait sur les fesses et j’ai dû recommencer l’exercice. J’étais rebellée contre elle, lui en voulais à mort, mais bizarrement je m’appliquais sagement et même, quand je faisais une faute, je lui tendais mon postérieur. Plus qu’elle se montrait dure avec moi, plus j’étais conquise par elle, convaincue que je méritais ma punition.

 

Chloé me raconte ce fantasme en toute innocence. Elle est parfaitement à l’aise.

Puis elle rajoute :

 

-Pourquoi chercher une explication rationnelle à ce qui émue profondément ? Il est bien évident qu’un psychiatre pourrait trouver sans la moindre difficulté la raison de mes délires.

Cela m’avancerait en quoi ? J’aime bien me perdre dans des excitations sulfureuses. Cela fait partie de moi. J’adore ce petit plus qui tourne autour de la honte. Je ne le cache pas. Comme toi je savoure de me maintenir dans un état d’excitation le plus longtemps possible. Quand je me masturbe enfin j’ai des jolis petits orgasmes qui me laissent toute pantelante. Ce qui nous différencie c’est l’état d’esprit après. Moi, je me sens vraiment bien, apaisée et satisfaite. Je me laisse toujours aller. Je n’ai pas peur de ce qui se cache dans mes profondeurs. Mes fantasmes font partie de moi et je les vie aussi bien qu’un beau voyage ou une soirée agréable.

 

-Je t’envie Chloé. Je trouve ton approche très saine et j’aimerais bien faire autant. Sais-tu que tu es la première personne à laquelle avoue que je me masturbe ?

Dernièrement une étrange fantaisie me hante et m’excite beaucoup. Ne rigole pas. Je me suis décidée d’aller chez le coiffeur. Jusque là rien de plus banal. Mais dans mon imagination je suis reçue par une femme très austère. Elle me propose une coupe à la garçonne avec une coloration en noir bleuté. Au début je ne suis pas du tout d’accord. Elle insiste avec fermeté et je n’ose plus la contredire.

La dame ne se prive pas et elle a la main terriblement lourde. Je vois mes boucles tomber par terre et ma chevelure se désépaissie de plus en plus. Quand je me lève du fauteuil, je me retrouve, les cheveux presque en brosse sauf quelques petites mèches par devant. Au lieu de l’habituelle petite longueur de la nuque, l’arrière de ma tête est presque rasé. Il ne reste au plus quelques millimètres. Idem pour les côtés. Qu’en penses-tu Chloé ?

 

 -T’es en train là de me demander ma bénédiction pour te changer la tête ?

 

-Si ! J’aimerais ton avis. Crois-tu que ça m’irait ?

 

-Tu seras ravissante Bella. Sur des jeunes femmes comme toi, je trouve ce genre de coupe extrêmement coquin, surtout sur quelqu’un qui affiche un aussi joli visage que toi. Il est vrai que ta permanente a l’air un peu ringarde. Elle ne te met pas en valeur. En plus elle enlève l’éclat et la brillance de tes cheveux.

T’as mûrement réfléchie ? Envie vraiment du très court ?

 

-Du ultra court ! Je pense qu’un striptease capillaire me ferrait du plus grand bien. Je suis trop en guerre avec ma féminité depuis des années. Elle me paraît un fardeau lourd à porter. En coupant mes cheveux j’ai l’impression de remédier à ce mal à la racine, si j’ose dire. J’ai besoin de provoquer pour me sentir moi.

 

-Tu seras merveilleusement sexy Bella. Les hommes vont se retourner sur toi.

 

-Es -tu sérieuse ?

 

-Absolument. Ne fais donc pas la bêtise de visiter un coiffeur de campagne. Le ultra, c’est extrêmement délicat. La moindre rature ne pardonne pas. Si tu veux je t’indiquerais une adresse sur Toulouse. Venant de ma part tu ne risques absolument rien. Ce sont des vrais artistes et le rapport qualité prix est excellant.

 

-Je veux bien Chloé.

 

Mon amie est adorable avec moi. Elle ne critique pas mes goûts, les respecte et ne essaye pas de me dissuader. Au contraire, elle m’encourage de m’engager dans des nouvelles voies. Avec elle je me sens comprise dans ma féminité.

Mes pensées se dirigent une fois de plus vers M. et son œuvre fascinant. Il avait abordé Chloé, âge alors de seize ans, pour qu’elle pose pour la fameuse « Fille aux cheveux noirs ». Je l’ai lu dans sa biographie, écrite par un professionnel de la mort. Le livre est tristement vide en ce qui concerne la vie privée du peintre. Ce n’était pas un homme des mots, mais un fanatique du pinceau. Fuyant les journalistes, il a toujours su se faire discret.

Marié à Chloé C., pour les dix -huit ans de celle-ci. Lui, il en avait trente six. Un bel homme avec un regard charmant et rassurant, sur de lui, mais modeste d’après ce qu’on sait. Je me souviens de l’avoir vu une fois dans une interview à la télé. Il avait un langage simple où les choses les plus compliques devenaient accessible à tous, il savait rendre la peinture compréhensible à un large public. Quand il répondait à des questions techniques il ne se perdait pas le détail. Le tout servie avec un sourire d’une gentillesse rare, une voix calme et posée, berçant comme ces vagues qu’il avait recrées sur toile pour les rendre autrement captivantes.

 

Chloé n’a pas participé à la rédaction du livre. Elle s’est abstenue de tout commentaire et collaboration comme on apprend dans la préface. Rien de plus naturel, à peine deux mois après la disparition subite de M. Un banal accident de la route, jugé tragique par les journaux, intervenu en plein été, à une saison qui manque des émotions fortes.

 

L’épave la voiture a fait la une. Réduite en un amas de ferraille entre la voiture précédente et un camion qui n’avait plus de freinage, comme le rapport des experts a indiqué. Six mois de prison avec sursis pour le propriétaire du camion, désigné par les juges comme seul coupable, doublé d’une amende de quelque millier d’Euros. Une vie ne vaut pas cher à notre époque.

 

-Si tu veux que les hommes te regardent, il faut les bousculer un peu.

 

La voix de Chloé vient de loin et me rappelle le vent qui caresse mon visage.

 

-La plus part des hommes sont inertes et ils réagissent qu’à des stimuli assez rudimentaires. Bien sur, avant tout c’est le corps et le visage qu’ils remarquent. T’es très jolie Bella. Je m’y connais. J’ai vue pas mal de modèles défiler. T’as pas à craindre les comparaisons. Mon mari a toujours dit que la beauté dans notre culture est étrangement liée aux coloris.

Si tu changes ta coiffure et la couleur de tes cheveux, tu devrais revoir ton maquillage. Un trait de mascara noir n’est pas suffisant. Il fige ton regard et tu fais peur par ton austénite. T’as une bouche superbe, beaucoup plus belle que la mienne, mais tes lèvres sont trop pâles. A quoi servent les rouges à lèvres ? D’un côté pour le narcissisme de la femme, d’autre côté pour signaler le pouvoir de séduction. L’absence de couleur indique à l’homme en face de toi que tu veux pas de contact. Ce mécanisme était déjà connu par des peuples, dites primitives.

 

-En fait, je ne connais pas grande chose au maquillage. Ce sujet ne m’a jamais trop occupée. Ne voudrais-tu pas m’expliquer tes secrets ?

 

-Tu veux un cours ?

 

-Oui, si cela ne te dérange pas.

 

-Alors écoute. C’est simple comme respirer. Tout commence par une belle peau. À ton age c’est un cadeau du ciel, à mon âge le travail d’une esthéticienne.

Je ne me complique pas la vie. Mon maquillage du jour est toujours identique. Ma peau est légèrement matte à la base. J’utilise d’abord un unificateur de teint. Ça donne un effet impeccable à tous les coups.

Sans oublier une base hydratante qui préserve des rides et garantie l’effet bonne mine. Le résultat donne paradoxalement ce que l’on appelle un visage naturel. Lapsus révélateur de notre langue et un premier pas vers la confusion des hommes qui s’imaginent qu’un teint parfait soit indissociable à la nature féminine. 

Mes yeux sont verts. J’utilise donc un eye-liner vert clair. Ça donne un aspect plus doux à mon visage. Les hommes ne sont pas effrayés et osent me regarder. Ce sont des grands enfants pour la majorité, il faut savoir les ménager. Pour accentueur la douceur, un fard à paupières vert mousse me fait l’affaire.

Les choix du mascara et sa bonne tenue sont extrêmement importants. Je ne me sépare jamais de mon brun roche, comme tu as sûrement déjà remarqué.

Mes cheveux sont noirs, au moins ils étaient, il y a quelques années. Une bonne coiffeuse, et le tour est joué. Pour les mettre en valeur je me sers d’un blush corail qui contraste bien.

On arrive à la touche finale, les lèvres. La journée n’offre rarement occasion pour un rouge chanel. Un petit semi mat framboise et voilà le travail.

Il y a beaucoup d’hommes qui se sentent attirés comme des mouches par des ongles bien soignés et décorés. Un peut comme nous les femmes, ils attachent une grande importance aux mains. C’est d’ailleurs à travers des mains que passent les caresses. Bouche est mains vont de paire dans la séduction. Un vernis framboise ou, quand j’ai envie comme aujourd’hui, un french manucure me vont le mieux. 

Mon maquillage du soir tu le connais. Une lumineuse base teintée avec des perles de nacre et un mascara irisé font la différence avec les autres femmes, surtout avec celles qui n’utilisent pas une lotion bleue pour les yeux.

Pour les fêtes tu verras une autre fois. Ce sera ma surprise pour toi.

En fait, en ce qui concerne ton soutien gorge qui n’a pas fait raz de marée, l’explication est simple : Si l’homme ne trouve pas de point d’attache sur ton visage, son regard ne descend pas. Par pudeur souvent. Il est indécent de convoiter quelque chose quand on n’est pas invité. Par surcroît une femme derrière un bureau impressionne souvent. La plupart des hommes craignent la culture parce qu’ils la jugent ennuyeuse. Rares sont ceux qui aiment une femme pour ses connaissances.

 

On arrive dans les corbières, le soleil est brûlant.

 

-Tu n’as pas chaud avec tes longs cheveux Chloé.

 

-J’aime trop la sensation du vent qui les soulève pour me masser la nuque. C’est presque jouissif, raison essentielle d’opter pour une décapotable.

 

On parle des Cathares. Chloé me demande de lui expliquer leur religion. Il n’est pas évident de résumer une matière aussi complexe qu’une croyance en quelques phrases sans tomber dans les paraphrases, dépourvues de contenue réel. Néanmoins je suis dans mon élément. Je sais que Chloé ne me pose jamais de question pour me faire plaisir, pour me revaloriser ou m’offrir l’occasion de me profiler. Son intérêt pour un sujet est toujours sincère. Son ouverture d’esprit dénote plaisamment de mon entourage.

 

-Pour moi, la notion de Dieu est un synonyme pour ce que l’on ne sait pas. Il ne s’agit nullement des connaissances vérifiables, mais comme le nom indique d’une croyance. Alors, il n’y a pas qu’une seule approche possible : On y croît ou on n’y croît pas, même si aux moyen âge le but de la scolastique tentait à démontrer l’existence de Dieu par les moyens de la raison. Même un homme comme Descartes s’adonnait encore à cœur joie dans son discours de la méthode.

La religion cathare se base sur le manichéisme, fondé par un prophète autoproclamé, Manès ou Mani de son nom, au troisième siècle qui s’appui sur deux principes : le bien, Dieu si tu veux, et le mal, Satan. Le bien est conçu comme absence de mal et demande donc un effort perpétuel à nous d’abolir le mal par toute notre force. Contrairement au christianisme on atteint le bien par un effacement du mal (au lieu de se vouer à Dieu pour atteindre la rédemption de l’âme par la grâce comme explique Saint Augustin dans ses « confessions »). Selon les cathares le monde est une création de Satan, mais celui-ci n’est ni capable d’insuffler l’esprit, le fameux logos de Saint Jean, ni la vie, la fameuse âme. Dieu a accepté, d’attribuer autant l’âme que l’esprit à l’être humain. Hélas, les deux sont emprisonnés dans un corps charnel, l’œuvre de Satan. À la fin du temps, l’âme et esprit reviendront à Dieu, au terme d’une longue épreuve qui peut durer plusieurs vies. En prônant la réincarnation les cathares sont en telle opposition avec l’église catholique qu’une intervention militaire devient inévitable et qui amène à la fameuse croisade sur terre chrétienne, la croisade contre les albigeois comme on dit aussi.

L’abnégation de la chair est si radicale dans cette croyance qu’elle exige de ses prêtres, les « bons hommes » ou « bonnes femmes » ou encore appelles « parfaits », de s’abstenir à perpétuer ce monde de Satan par l’acte sexuel.

 

-Je ne la trouve pas très attirante, tout compte fait, cette religion, me dit Chloé.

Pas bêtement du fait que la sexualité soit mal famée, mais par son profond pessimisme qui ne se borne qu’à abolir le mal sans chercher le bien par une élévation spirituelle.

Cela ne m’empêche pas de dissocier une guerre religieuse d’une guerre motivée par un besoin d’indépendance contre une église envahissante qui ne cesse d’étaler son pouvoir. Dans ce sens, mes sympathies sont du côté des opprimés et cela vaut largement mon respect pour les vaillants défenseurs de notre région, peut importe leur croyance.

 

Je n’ai rien à rajouter à cette remarque qui témoigne d’un profond détachement religieux au profit de l’être humain, tout simplement. Encore un point en commun entre moi et Chloé et ne pas le moindre. Sincèrement je ne perçois aucune lacune en cette femme. Beauté et humanité sont en parfaite harmonie.

 

Elle divague sur Rennes le Château. Un diable qui tient un bénitier. Ce mélange d’eau avec le feu, élément propre du diable, l’intrigue. Elle n’est pas spéculatrice envers des théories ésotériques, ni envers le fabuleux trésor de l’abbé Saunière. Elle se tient à ce qu’elle voit avec ses propres yeux.


 

Perpignan est dépassée par sa rocade et B. apparaît sur les panneaux. On quitte la bretelle de la route rapide. Au contraire de ce que j’ai imaginé, Chloé a une conduite prudente. Elle est bonne conductrice, indispensable sur le réseau secondaire. Pas besoin de dépasser la vitesse autorisé. Le plaisir est lié au déplacement, pas à une sensation vertigineuse. Après tout, nous sommes en vacance. L’important c’est d’arriver vivant, a-t-elle dit. Faisait-elle allusion à l’accident de son mari ?

 

L’appartement de Chloé se situe dans un immeuble grand standing, le plus beau de la ville, juste en face de la promenade avec une vue imprenable sur la mer. Le garage s’ouvre par une télécommande qu’elle a sortie de son sac. Le garage est spacieux et offrirait abri à deux voitures sans le moindre mal. Le sol est en mosaïque, les murs en crépis pailleté. Ca promet pour le reste.

 

L’immeuble est complètement insonorisé. Quel bonheur, car le long de la promenade, seul accès ici vers l’Espagne, le bruit du trafic me rappelle ma bibliothèque.

Couloirs en marbre, tapis épaisses et deux femmes avec leurs bagages. L’ascenseur nous porte en hauteur. Une grille en fer forge ; à chaque étage une fenêtre. La mer défile. Des vagues sans son, l’écume blanche, un paysage de rêve. 

 

Dernier étage, terminus. Un seul appartement sur le pallier, une porte plutôt simple, mais épaisse et des fleurs devant la fenêtre. Je me sens un peu chez moi.

 

Un long couloir traverse l’appartement en entier. Par une porte sur la gauche nous entrons dans un vaste salon. L’intérieur est moderne, je dirais même dernier cri, correspondant aux rêves que Figaro Madame se dépêche à nous présenter tous les mois.

 

Les meubles sont clairsemés, la notion de l’espace primordial. Et de l’espace il y en a. Le salon tout seul est plus grand que mon appartement. Mais ce n’est pas cette pièce, vraiment belle à mon goût, qui m’enchante le plus. Elle débouche par une verrière sur une terrasse qui entoure l’appartement de trois côtés avec une vue panoramique sur la mer et les corbières. Du jamais vu pour moi. Chloé n’étale pas, malgré un luxe qui saute aux yeux. Elle reste naturelle. Elle n’a pas besoin de frimer. Avec un savoir faire sans pareil elle me fait partager son intimité et me donne le sentiment que je serais désormais chez moi.

 

Chloé au beau milieu de son monde et son monde est la vie.

 

On pose les bagages et je lui suis à travers d’un dressing qui n’a rien à envier d’un magasin de confection féminine, dans la salle de bains. Quoi de plus naturel pour deux femmes ?

 

 -C’est la mienne, dit elle avec un envol de fierté, en me dévoilant le sacro saint. Mon mari, désespéré par ma lenteur, a créé cet espace pour moi. C’est la pièce la mieux exposée de la maison. Il avait beaucoup d’humour. C’est lui-même qui a conçu le décor.

 

Je suis accueille par une douce lumière tamise qui s’écoule par deux pans de murs en verre, légèrement fumé. La vue surplombe la promenade et la mer. À l’angle des deux verrières se trouve une baignoire, en hauteur de deux marches.

 

Elle est en forme de coquille Saint Jacques, effet et couleur de corail lisse, entouré de marbre noir, cisèle avec des filaments d’or. Les larges rebords de la baignoire débordent de produits de bain et de beauté. Une collection d’éponges de formes différentes m’attire particulièrement.

 

En bas, sur la promenade, les gens s’entassent, ils paraissent petits. Ils ont digéré et prennent maintenant une bouffe du grand large.

 

Le mur droit est un immense miroir avec une porte que l’on distingue à peine. Devant, accessible de partout, une table de travail, digne d’un salon d’esthéticienne. Des éclairages divers sont incorporés dans un plafond, également miroitant. On se voit de partout, sur toutes les coutures. Rien n’échappe. 

 

À gauche de la porte d’entrée un double lavabo en formes des coquilles. Miroirs tailles et produits multiples, hors contenue invisible, mais certain, d’un impressionnant meuble. Je n’ai jamais vue quelque chose d’aussi beau. Je suis émerveillée par cet endroit hors du temps et hors du bruit de la rue. En bas, la vie prend son cours et moi, je n’ai plus envie de courir.

 

-Ta salle de bains est magnifique, Chloé, un vrai coin de paradis.

 

-C’est mon jardin secret. J’observe ce qui se passe sur terre en restant une déesse invisible qui prend son bain.

 

-Aphrodite, femme de Héphaïstos, ce dieu du feu d’en bas, créateur de la première femme, Pandore.

 

-Bella, tu devrais essayer d’oublier un peu tes livres. On est dans la réalité. On a fait un long voyage, il a fait chaud, on a transpiré. Je pense qu’un bain s’impose. Il y a assez de place dans la baignoire pour deux.

 

Je me sens déconcertée de prendre un bain avec Chloé. Je suis trop pudique. Puis je pense qu’après tout, au bout deux mois d’amitié, je pourrais mettre ma pudeur de côté. Je me dis en même temps que je pourrais aussi en parler à Chloé, à elle, qui est si compréhensive, à elle qui n’est jamais distraite, mais toujours distrayante, déstressante, délassante. Alors je me lance à lui parler tout simplement de la même manière qu’elle me parle.

 

-Tu sais Chloé, je n’ai jamais pris de bain avec une autre personne. Je suis un peu affolée à l’idée d’être si nue devant toi.

 

-Oh Bella, tu as un sens très biblique de la pudeur. La fameuse feuille de vigne. Comme tu as dit, nous nous trouvons dans un coin du paradis. Alors regardons un peu la bible. L’histoire du pêché originel est quand même étrange. On offrant la pomme, Eve incite Adam à enfreiner une loi interdisant de manger le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Mais cette connaissance s’avère bien empoisonnée. Adam prend conscience de sa nudité, l’associé au mal et à la honte. Au lieu d’avoir honte de son acte, il a honte de son corps ou plus précisément - selon les écritures - de son sexe qu’il cherche à cacher. Pourquoi de son sexe, pourquoi pas de sa tête qui à décidé de manger la pomme, de sa bouche qui l’a croquée, de sa main qui l’a touchée ? Peut être, parce que le terme connaître a bibliquement un deuxième sens et la pomme n’est qu’un symbolisme pour cacher autre chose. Donc une conclusion facile peut s’imposer à ceux qui veulent à tout pris interpréter : montrer son sexe correspond à une allusion à la sexualité ce qui est considéré comme le mal. Cela me rappelle étroitement la philosophie cathare dont tu m’as parlé sur la route.

Mais la bible fait encore plus fort en disant : Adam cache sa honte sous une feuille de figuier. Quel terminologie baroque : Soit à l’époque de Moise le mot hébreux pour sexe est déjà synonyme de honte, soit Moise était un homme pudique, soucieux d’éviter toute grossièreté verbale, soit la pudeur incombait le traducteur.

Voila un discours digne d’une bibliothécaire.

 

-Effectivement (je parle en souriant) vu sur cet angle (et je continue à sourire pour cacher et surmonter ma gêne) je jette mes habits et je t’assure que je vais relire la bible sous un autre œil.

 

Peut-être ne reverrais-je plus jamais un endroit aussi beau. Enchantée par l’ambiance, je suis amusée à l’idée de faire quelque chose pour la première fois.

 

En me tournant vers le mur de miroirs je dis à Chloé :

 

-Pour aujourd’hui la pudeur se fait discrète. J’aimerais qu’elle s’envole pour toujours. . . Crois-tu que ça se guérit dans des baignoires païennes ?

 

Chloé me connaît ; elle sait que j’ai besoin que l’on m’entraîne pour que mes premiers pas dans un pays inconnu se passent en douceur. Par le jeu des miroirs, j’ai Chloé devant mes yeux. Je me sens un peu comme un voyeuse. Je ne peux pas nier que j’éprouve du plaisir d’assister à la scène.

 

Chloé délace ses sandales avant de quitter sa robe. Mis à part un string blanc en dentelle de Calais elle est nue. Malgré son âge, elle possède des seins d’une jeune femme.

 

Quand elle enlève son string une surprise de taille m’attend auquel je m’y attendais pas. Son sexe est entièrement lisse. Chloé n’a pas le moindre poil. Tout est visible. Je ne vis pas derrière la lune. A. n’est pas le bout du monde et je lis beaucoup. Je sais que l’épilation intégrale est à la mode en ce moment. Mais tout de même.

 

Ce qui me déstabilise est le fait que je n’ai jamais vue une femme épilée auparavant, à part sur des photos. Je n’ai pas rencontré non plus, au cours de ma vie, une copine, adepte de telles pratiques.

 

Puis doucement, l’effet de la surprise digéré, mes pensées se structurent, me dévoilant mes véritables sentiments. L’idée de m’épiler entièrement me trotte dans la tête depuis quelque temps, bien avant de rencontrer Chloé. Je ne suis pas passée à l’acte parce que j’ai besoin d’être rassurée et je n’ai trouvé personne pour partager mes idées. Quelqu’un d’attiré par cette mode comme moi et qui – de préférence – ait déjà essayé et qui puisse me parler de ses impressions et me communiquer ce qu’il ait ressenti. Enfin l’occasion se présente dans le meilleur des contextes. Ma gratitude envers Chloé est sans limites.

 

Chloé, comme d’habitude est parfaitement sereine. Elle s’approche de la baignoire et fait couler l’eau. Je n’arrive pas à bouger et - me connaissant- je dois avoir une drôle de tête.

suite chapitre 4.3


 


Par isabelle183 - Publié dans : La fille aux cheveux noirs
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Mardi 29 avril 2 29 /04 /Avr 18:48

 

                                          4.3 LE BAIN                    

Chloé me rappelle :

 

-Tu prends ton bain habillée, Bella ?

 

Bien sur que non. Mais je rêve encore un peu. Je ne sais pas trop bien où ce bain va me mener. Je commence à me déshabiller à quelques mètres d’elle et il me semble que je sois loin, loin derrière. Une symbolique distance nous sépare et c’est à moi maintenant de faire le voyage toute seule. Chloé m’a montré le chemin. Le monde alentour n’existe plus, s’arrête d’exister. Il devient un mouvement perpétuel que la mer efface. Je me sens libre. Je ne voit que Chloé : ses épaules, ses mains et sa magnifique chevelure si long, si brun, seule partie de son anatomie qui ne soit pas encore mouillée par le bain. Je n’ai que ma culotte à enlever, et tout me gêne en moi, ma nudité me gêne. Chloé est si belle, si désirable.

 

Son pubis épilé m’a impressionnée, intriguée. Je monte les marches de la baignoire et me glisse dans l’eau. Et une fois de plus j’ai recours à des mots simples pour satisfaire ma curiosité.

 

-J’ai vu que tu es entièrement épilée Chloé. Je trouve ça super joli. J’aimerais en faire autant, mais j’hésite encore. Je n’arrive pas à me décider.

 

J’essaye de me tenir dans l’eau aussi élégamment que Chloé.

 

-Je suppose que ce ne soit pas la peur de la cire ?

 

-Tu me connais bien.

 

-Question métaphysique ?

 

-Oui, comme d’habitude. Parle-moi un peu de ton approche, Chloé.

 

-Ma chère Bella, je suis épilée parce que les poils m’ont empoissonné la vie. Tout simplement. Je ne savais pas quoi faire avec. Leur texture est sèche et dru, leur touché est désagréable et aucun baume ne les rend soyeux et appétissants. J’ai tout essayé, les défroisser et les teintures. Rien à faire, malgré les efforts de mon esthéticienne. Je ne te parle pas des coupes, en cœur, en carré, en losange et j’en passe. Incoiffables, un vrai cauchemar, toujours des poils à travers. Tu ne peux même pas les maîtriser avec des gels coiffants. En plus, l’entretien de la forme est pénible. Tu passes tes journées dans les pots de cire ou avec la pince à épiler.

Je la regarde admirativement avec des grands yeux.

 

-Tu es trop cool, Chloé.

 

-Et toi, t’es trop crédule Bella. Mon discours te semble parfaitement plausible, car tu te bases sur l’idée que tu fais de moi. Tu imagines que j’ai grandi sans les moindres inhibitions. Je ne pense pas que cela soit possible. Chaque fille passe par les mêmes étapes. L’adolescence est difficile pour tout le monde. Devenir une femme est un procédé long et douloureux, peu importe comment t’étais élevée. On peut t’expliquer facilement la sexualité entre adultes, mais mettre des mots sur ce que tu ressens pendant que ton corps se transforme relève d’un défi de taille. Rare sont les parents capables de trouver des termes qui conviennent. Tu devrais y réfléchir puisque les mots sont ton domaine de prédilection.

 

-Tu ne sais pas à quel point tu me rassures Chloé. Je m’y croyais un cas désespéré.

 

-Ne sois pas trop dure avec toi. T’es un peu plus lente que d’autres. Peut-être parce que tu manques d’expérience dans la vie pratique. Cela te donne ton charme particulier. T’aimes réfléchir avant de t’engager dans une voie et surtout comprendre le pourquoi de chaque pas.

 

-Tu me cernes à la merveille Chloé ! Continue.

 

-Tu m’as dit que t’étais un fan de l’œuvre de mon mari. T’as déjà vu un seul poil pubien sur ses tableaux ?

 

-Je n’ai pas fais le rapport. Je croyais que cela concernait la liberté artistique.

 

-Admettons. Je suis née en soixante trois. Inutile de le cacher, tu peux le lire dans n’importe quelle biographie de M. Je déteste cette indiscrétion des journalistes, mais il faut que je fasse avec. C’est le revers d’un personnage public.

Quand j’ai posé pour la première fois, en soixante dix-neuf, t’étais encore un bébé. À cette époque les critères esthétiques et moraux étaient bien différents d’aujourd’hui. L’épilation du maillot, et je te parle pas de l’intégral, faisait pas partie des mœurs.

Les artistes, et les peintres font pas l’exception, se veulent toujours en marge de la société ou au moins en avant-garde. La plupart entre eux   -M. en faisait partie   - ne juraient en ce temps que par l’épilation intégrale pour les modèles sur leurs tableaux. Ceci dit, si tu voulais poser il fallait s’adapter. Ne crois pas que j’étais au courrant. J’avais que seize ans. Je suis une vraie brune et ma toison était plutôt bien fournie. J’étais très fière de ma jungle.

Mon premier tableau auquel j’ai participé fut le « Repos des Muses ».

 

-Je l’adore celui-là. Tu donnes bien en Terpsichore, muse de la danse et du chant.

 

-Heureusement tu m’as jamais entendu chanter, je suis une vraie catastrophe.Ce tableau alors, se veut un hommage à Ingres : Le songe d’Ossian, ce qui n’est pas difficile à déceler pour un amateur de peinture. Tu saisis ?

 

-Effectivement. J’ai vu ce tableau à Montauban au musée d’Ingres. Il n’y a que des femmes sans poils chez Ingres et on perçoit sans mal les grandes lèvres, comme sur le « Repos des Muses ».

 

-J’étais convoquée – avec les huit autres filles   - un beau jour du mois d’août chez M., dans son atelier à Toulouse pour une première réunion de travail. À part deux filles, aucune de nous n’avais jamais posé pour lui. Il n’aimait pas les modèles connus et préférait traîner en ville en abordant des inconnues.

J’ai jamais été pudique, mais ce jour-là avait quelque chose d’un défi pour moi. D’abord parce que j’étais de loin la plus jeune. Je suis d’ailleurs le seul et unique modèle si jeune de toute la carrière de M. Il n’a jamais caché son attirance pour les femmes à partir de la mi-vingtaine.

Au vestiaire tout le monde se mettait à nu, pas évident pour certaines. T’imagines pas notre amusement de découvrir les deux anciennes entièrement épilées.

Ne vous réjouissez pas trop, a dit l’une, vous passerez toutes à la cire cet après-midi pour la séance de demain.

Ça jeté un froid. Cependant personne n’osait protester, top content de poser pour une légende vivante.

 

M. nous faisait parader pour distribuer les rôles. Il nous demandait de prendre des poses et traçait quelques esquisses. Cela durait plus de deux heures. Notre nudité ne le dérangeait nullement. Je dirais même qu’elle le laissait complètement indifférent. Ce contact avec le monde artistique m’a marquée à jamais. Un homme seul, au milieu de neuf femmes nues, qui ne perd pas le nord et qui reste concentré sur son travail. Dans ces conditions là, la nudité devient un outil de travail et se détache de tout contexte malsain que pourrait évoquer une situation pareille dans d’autres circonstances. Tout le monde se détendait et la séance fut une réussite, selon M.

 

À la fin il nous disait :

 

- Mademoiselles je vous attend pour demain à la même heure, souriantes, expressives et intégralement épilées à la cire. Je ne veux pas être dérangé par la moindre racine. Cela est le prix que vous acquitteriez pour la postériorité. Chaqu’une de vous aura un rendez-vous cet après-midi avec mon esthéticienne. Soyez ponctuelles.

 

Quand je suis rentrée à la maison, j’ai demandé conseil à ma mère qui m’écoutait avec sérieux, mais visiblement amusée.

 

-Chloé, m’a-t-elle dit enfin : Tu ne voulais pas te contenter de ta future carrière de danseuse, tu as insisté pour devenir aussi modèle de peintre à tout prix. Maintenant assume les conséquences. Chaque profession comporte des exigences.

Cet après-midi tu iras chez l’esthéticienne et tu t’appliqueras sagement.

 

-Tu as une mère fantastique Chloé qui te soutient dans tes projets. Tu dois être fière d’elle.

 

-Ne t’emballe pas trop Bella. Ma mère, une femme extrêmement ambitieuse, m’a élevée toute seule. Elle a placé en moi tous ses espoirs. D’accord, j’ai eu avec elle la liberté du choix. Toutefois une décision prise, elle veillait sur le suivi. Elle m’imposait une discipline de fer et gare à moi si je faisais des caprices. Pour elle, mai soixante-huit ne signifiait rien. J’ai reçu une éducation très sévère qui m’a fait comprendre l’utilité de la persévérance dans la vie.

À trois heures pile j’ai pointé chez l’esthéticienne. Elle me fit déshabiller entièrement.

Je suis tombée sur une vraie sadique cérébrale, au moins je le croyais. Je ne comprenais pas qu’elle ne se moquait pas de moi. Avec le recul, je pense qu’elle ne manquait même pas du tact, vu mon âge. Pour elle l’épilation intégrale faisait partie de son travail. Convaincue de l’utilité esthétique, elle crut me rendre service. Elle avait trop d’avance sur son temps.

Côté pratique, tout allait bien ; elle était plutôt douée. Par contre niveau réflexions, j’ai dégusté.

 -Suivez-moi Mademoiselle. Je vais vous rendre présentable. Dans une heure cette broussaille ne sera plus qu’un mauvais souvenir. Vous allez vous sentir bien mieux.

Compte tenu de la longueur de mes poils elle me passait d’abord la tondeuse pour les raccourcir. Lui montrer mon sexe ne me gênait pas particulièrement, par contre quand j’ai dû lui présenter mon anus, j’éprouvais la honte ma vie. Je ne m’y attendais pas que ce serait vraiment de l’intégral à ce point.

J’ai survécu. À la fin elle m’a montré à l’aide d’une glace mes recoins le plus intimes que je puisse admirer son travail. Elle m’a demandé si j’étais contente de sa prestation et elle me conseillait de passer une crème apaisante le soir. En fait, elle opérait de la même manière que de nos jours.

-Maintenant vous êtes belle comme un ange Mademoiselle et ceci pour trois semaines environ avant que ça repousse. Revenez quand vous dépassez un centimètre.

Entre moi et ma mère, la nudité n’était pas un tabou. Je lui ai donc montré le résultat.

-C’est inhabituel, mais c’est vraiment jolie Chloé.

Avec tant de compliments, de la part de ma mère et de l’esthéticienne je me consolais de la perte de mes poils. Je me suis longuement admirée dans la glace et en me passant la crème j’ai découvert le frisson d’une voluptueuse sensation sexuelle.

Ce qui m’a réconfortée les plus, c’étaient les séances de pose. Entourée que de femmes épilées, j’ai pris l’habitude de mes nouvelles apparences et j’ai appris à les apprécier. Un seul nuage me gâchait un ciel au beau fixe : Quand je me douchait après l’entraînement de danse avec mes copines, elles essayaient de me transformer en cible de leurs moqueries. Cela ne prenait pas trop avec moi. En posant pour M., j’avais pris pied dans le monde des adultes et cela me donnait confiance en moi

Quand mes poils ont commencé à repousser, je me trouvais devant un choix : Redevenir comme mes copines ou continuer l’épilation. Surtout je ne voulais pas renoncer à mes sensations masturbatoires, devenues infiniment plus intenses. La décision fut facile, car M. me proposait « La fille aux cheveux noirs », suivie d’une série tournant autour du même sujet, quinze tableaux en tout dont un inédit que je cache au monde en attendant qu’une bonne occasion se présente. Je ne suis pas superstitieuse, mais je me suis jurée en guise de porte bonheur de rester épilée et j’ai tenu ma promesse. Ma carrière de modèle prenait une ampleur inespérée. À seize ans je gagnais très bien ma vie et j’ai pu me permettre mille fantaisies. Ma mère était fière de sa fille et me considérait désormais comme une adulte. En plus en danse j’avais des réelles capacités. Je dépassais de plus en plus les autres filles et on me promettait une grande carrière.

 

-Je n’en doute pas un instant Chloé. Tu es passée si souvent à la télé. J’ai vu tes prestations en rediffusion. Tu étais merveilleuse, la danseuse la plus douée de ta génération. Indépendante à seize ans. Cela me laisse songeur. Quand j’avais seize ans, tu étais mon idole.

 

-Tu es très gentille avec moi, Bella. Tes compliments me touchent profondément.

 

-J’ai beaucoup aimé ton histoire. Je trouve que tu es une femme décidée. Il faut beaucoup de persévérance pour mener deux carrières parallèlement.

Mais ce qui m’a émue le plus sont tes confidences sur tes sentiments intimes, les aperçues de ton âme que tu me fais partager. Je suis partie sur une question toute bête, comme il me semble maintenant et toi tu l’intègres dans un vécu passionnant.

 

-Ta question étais pas bête Bella. Elle te préoccupait visiblement.

 

-Un petit détail technique m’intrigue encore. Moi aussi, je m’arrange le maillot à la cire. Classique bien sur. Je trouve que l’on voit par ci ou par la une racine. Chez toi, on ne voit rien. On dirait que tu n’as jamais eu de poils. Quel est ton secret ?

 

-C’est du définitif par laser. Ca ne repoussera plus jamais. Comment tu trouves ?

 

-Frappant. Troublant. Exquis.

Tu sais que je suis une vraie torturée. Il y a encore un truc qui me chagrine. 

La nature donne à toutes les femmes des poils au pubis, c’est ce qui nous distingue des petites filles. Veux-tu rester éternellement une petite fille ?

 

-Toi alors, tu m’en sors des bonnes. Je suis pas épilée pour retrouver la petite Chloé. Je t’épargnes aussi des discours à la noix, style hygiène ou culture. Je suis une femme et je me sens femme. Il ne me faut pas des preuves supplémentaires, ni l’approbation des autres pour être bien dans ma peau.

Bien sur les petits enfants connaissent ni le gêne ni la honte. Sur ce point de vue je leur ressemble. 

Tes notions par contre, sont des notions d’adulte, mal dans sa peau. Pour rien au monde j’aimerais être à ta place. Je serai tentée de résumer ta sagesse dans une phrase : les enfants sont heureux parce que sans les poils ils ne risquent pas de croquer la pomme.

Alors rasons nous et soyons heureux. Comme tu constates, avec moi, ça marche. Qu’attends-tu pour faire autant ?

Hélas, en réalité c’est pas aussi facile. Déjà les enfants, on arrête pas de les embêter. La culture est un fardeau lourd à porter et chacun essaye de trouver de l’aide pour se soulager dans sa tache. On crée donc des petits porteurs supplémentaires. On se borne de leur répéter ce qui est interdit, ce qu’il ne faut pas faire est ce qui est gênant, en bref, nos valeurs du bien et du mal. C’est ainsi qu’ils perdent le paradis de l’enfance. Moi je suis adulte. Je connais le refrain.

Toi tu es gêne pour moi parce que tu essayes de te mettre à ma place. Rien que l’idée te fait honte, l idée d’être nue et comble de malheur, de ne pas avoir un seul poil sur le corps et ressembler à une petite fille en face de sa maman qui va lui donner son bain.

Mais une fois la première peur passée, il y a un sentiment qui se réveille en toi, sans que tu puisses le définir. Il est étrange, tu es troublée, émue. N’y pense plus, sinon tu risque de te perdre. L’excitation est une sensation difficile à cacher et il faut de l’expérience pour la maîtriser. Reviens à toi : imagine de prendre un bain entre filles, bonnes copines, qui ont fait un long voyage, qui ont eu chaud, qui ont transpiré et qui ne veulent pas sentir mauvais. Tu me suis !

 

Je me blotti contre Chloé. Quand je sortirais de ce bain je ne serai plus la même. Je le sais bien et je suis consentante. Chloé met le système d’hydro massage en route. Elle ajoute du bain moussant à la lavande. Mon corps se détend, je me sens vivante. Mon corps vibre et je ne repousse pas la main de Chloé qui commencer à me laver avec une douce éponge naturelle. Elle ne pose pas encore sa main sur moi. C’est l’éponge qui garde la distance entre nous. Chloé est un être merveilleux, pleine de tact et compréhension. C’est moi qui lui tends le coup, les bras, les seins, le dos, puis mes parties intimes.

 

C’est moi la petite fille, malgré mes poils. Je suis une petite fille sale, qui a sué et qui sent mauvaise. Ce n’est pas ma maman qui me donne le bain, c’est Chloé, ma copine, mon amie. Celles qui enlève les barrières et les obstacles sur mon chemin.

 

Sa main glisse sur mon entrejambe, mais ce n’est pas sa main que je sens, c’est l’éponge. Mes yeux sont fermés. Suis-je en train de rêver ? Mes jambes s’écartent toutes seules, naturellement. Je n’ai pas envie de briser la magie. Des sensations inconnues me traversent, me bouleversent. Le plaisir est omniprésent. Mes mains trouvent Chloé. La mousse a rendu l’eau glissante. Douceur au bout de mes doits, plaisir de la glisse. Le Paradis retrouvé. Je garde mes yeux fermés. J’ai peur de me réveiller, j’aimerais que ce rêve continue. Je sens l’éponge sur mon sexe. Je suis sépare de Chloé par mes poils et une éponge. Je ne suis pas comme Chloé qui se donne toujours à fond, qui ne cache rien. Mes doigts se réveillent et explorent une sensation oublie depuis mon enfance : un sexe doux et lisse, plaisant à toucher, un comble de volupté qui m’emporte dans un univers parallèle.


Suite chapitre5

 

Par isabelle183 - Publié dans : La fille aux cheveux noirs
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Mardi 29 avril 2 29 /04 /Avr 18:45

                                 PROMENADE À TOULOUSE

 

Le samedi après-midi le centre-ville de Toulouse déborde de monde, surtout quand il fait beau. La ville rose se transforme en fournaise surpeuplée. La chaleur est à peine supportable. L’air est stagnant. Venant de ma montagne j’ai du mal à respirer. Je ne supporte pas ce climat. En descendant la rue Saint Rome, je débouche sur la place Occitanie où se situ le capitole, fierté et insigne de la ville. Les arcades me rappellent le temps où j’étais étudiante, des innombrables pots pris en compagnie d’autres étudiantes et étudiants. Des interminables discussions me reviennent en mémoire, sur la fac, les profs, la politique, la société et aussi la littérature, ce lien qui nous unissait. Je trouve que depuis la clientèle n’a pas foncièrement changée. Les visages ne sont plus les mêmes, mais les sujets de conversation se sont transmis à la nouvelle génération. Cinq ans déjà que je suis retournée au village. Un mariage, un divorce et une carrière professionnelle m’ont fait oublier le temps. Aujourd’hui, j’ai la nostalgie et je savoure ce pas en arrière. J’aime cet endroit pour la beauté de son architecture, pour sa convivialité, pour sa douceur de vivre. En voyant la croix d’Occitanie je pense aux Cathares, à leur hérésie manichéenne, à la seule croisade sur terre chrétienne, au massacre de Muret. L’histoire de la région m’a toujours passionnée et comme pour beaucoup, toute ma sympathie appartient aux vaillants défenseurs du Mont Ségur, trahit par des mercenaires basques. J’ai souvent observé une certaine animosité des gens de mes montagnes envers les basques pour ce fait. Cela me paraît une aberration qui rejoint le racisme actuel, me rappelant une parabole que j’ai lu quelque part : un chasseur tue les jeunes d’un lion. Le lion se venge sur les êtres humains, car il n’est pas capable de différencier entre le coupable et l’espèce. Serions-nous si proche des animaux pour tomber dans les mêmes erreurs ? Sartre a raison que l’existence précède l’essence et devenir un être humain digne de ce nom soit un chemin laborieux que peut de gens entament ; pas par découragement devant la difficulté, mais par indifférence.

 

Chloé m’attend pour notre deuxième rendez-vous à la terrasse d’un café sous les arcades. Elle est assise en plein soleil, tandis que la place qu’elle m’a réservée se situe à l’ombre. C’est toujours elle la première qui arrive. Une fois de plus elle a de l’avance sur moi. On échange une tendre bise, plus tendre et plus charnel encore que l’autre jour à la sortie du restau. Chloé est d’excellant humeur, son visage est radieux. Comme moi, elle porte une robe d’été et des sandales.  

 

-Quel plaisir de te voir en robe ma petite Bella. Tu es très séduisante. L’endroit te convient-il ?

 

-Qui parfaitement. Comment as-tu deviné que je crains le soleil ?

 

-Rien de plus facile. La blancheur de ta peau te trahit. Quelqu’un qui passe la moitie de sa vie dans des livres n’a sûrement pas beaucoup occasions de s’exposer à la lumière naturelle. Sais-tu pourquoi j’ai choisi cet endroit ?

 

-Non, pas vraiment.

 

-C’est un emplacement idéal pour observer, mater si tu préfères. Tu verras combien de monde défilera devant nous. Il n’y a pas mieux pour se familiariser avec la psychologie masculine.

 

Je ne suis pas venue pour « mater » les hommes. Tout ce que je cherche c’est la compagnie de Chloé. J’adore l’écouter. Chacun de ses mots parle du monde en dehors de mes livres. Mais je ne suis pas contrariante.

 

-Dans notre société une femme dispose d’un avantage indéniable. Malgré tous les mouvements féministes, quasiment rien n’a changé dans la séduction. Le premier pas appartient encore à l’homme. Quelle aubaine pour nous. Mais si on veut que la séduction opère, à nous de faciliter la tache aux hommes. D’après toi Bella, comment fait-on ?

 

 -Je ne sais pas. Il ne me semble pas évident d’entrer en conversation avec un inconnu.

 

-Tu manques de l’imagination, Bella. Inutile de parler. Pour l’instant les mots sont de trop. La vie est beaucoup plus simple. Il suffit de chercher le regard. N’oublie pas de surveiller discrètement tes gestes et la manière dont tu es assise. Le tout se joue quand les regards des deux êtres humains se croisent. Si l’homme te plaît, un simple sourire peut l’arrêter dans sa course.

 

-Tu t’exerces souvent à ce jeu Chloé ?

 

- Oui, quand je me sens seule. Pour me prouver que je plais encore.

 

- Tu doutes de ton physique ? Tu te moques de moi ?

 

-J’ai quarante-deux ans, Bella. À mon âge la beauté n’est plus une évidence, mais un mérite qui se travaille tous les jours. Surtout à notre époque qui voue un culte à la jeunesse.

Que vois-je le matin quand je me regarde dans la glace ? Une femme qui a vieillie d’un jour de plus. Je n’ai pas d’enfant, je n’ai plus de compagnon, à moi alors de donner un sens à chaque instant de mon existence.

 

-Es-tu obsédée par le temps Chloé ?

 

-Au cours de ma vie, j’ai fait une drôle d’expérience. Le temps nous appartient. Il ne se déroule pas continuellement avec la précision d’un métronome, mais dépend de notre état d’esprit, de la manière que l’on remplit ses journées. Plus qu’on se jette dans des activités plaisantes, plus il paraît extensible. Ce n’est pas le temps chronométré d’un événement, d’une relation qui importe, mais l’intensité du vécu. Plus les émotions sont fortes, plus le temps perd de son pouvoir.

Une passion s’approche par les émotions ressenties étrangement à une petite éternité, autant pour le bonheur que pour la souffrance. Quand tu attend l’arrivée d’un être aimé la journée devient interminable et quand tu es auprès de ton amour tu ne compte plus les secondes qui passent et quand tu fais de l’amour, l’extase nous amène carrément ailleurs.   

J’ai du mal à croire à une vie après la mort, je préfère exister dans le « ici et maintenant » à travers d’autres êtres humains qui partagent avec moi cette fascinante aventure qui est la vie. Es-tu croyante Bella ?

 

- Je suis agnostique, je ne sais pas s’il y a un dieu ou pas. Mais parfois je me surprends à penser que je me lasserais vite d’une éternité auprès d’un bon Dieu. Alors je me cultive pour faire des réserves en vue d’un paradis pour m’échapper là-bas, en cas d’ennuie, dans mon imagination.

 

-Tu es déjà en train de t’entraîner ici, sur terre. Ne voudrais-tu pas aussi emporter avec toi une multitude d’expériences ? Qui sait, peut-être ça peut servir là-haut.

Tu n’aurais pas par hasard une petite citation, Bella qui s’accommoderait à notre discussion ?

 

-Oui et elle vient de Hippias, un sophiste grec : l’important n’est pas de tout savoir, mais de triompher de tout.

J’aime chez les sophistes le fait qu’ils mettent le quotidien de l’être humain au centre de leur philosophie, un existentialisme avant terme dans un certain sens. Ils ne cherchaient pas à élaborer ou s’approcher d’un savoir absolu, ils visaient plutôt à construire un homme du style qui sait tout faire. Bien sur, à leurs yeux les femmes étaient exclues d’une telle destinée. 

 

Chloé me regarde attentivement, puis elle me répond par une citation qui – venant d’elle   - m’étonne autant plus :

 

-Tant que la femme demeure une parasite, elle ne peut pas efficacement participer à l’élaboration d’un monde meilleur. Simone de Beauvoir : Le deuxième sexe ; volume deux. Mon mari fréquentait souvent des intellectuels. Certains parmi eux se faisaient un plaisir de me rappeler que je n’étais qu’un corps sans cervelle, les mêmes qui   - après la mort de mon mari – m’ont fait des avances. Crois-moi Bella, je connais bien les hommes. Ils savent dominer ce monde, mais pour le perpétuer ils ont toujours besoin de nous, les femmes.

Je comprends parfaitement le penchant de certaines féministes privilégies pour l’insémination artificielle. De quoi à vraiment effrayer nos cher mâles.

Je n’ai pas honte de ce que je suis. Dans un certain sens j’ai activement participé à l’œuvre de mon mari. J’étais plus qu’un simple modèle, j’étais sa muse.

Inspirer c’est engendrer ; inverser les rôles. C’est la muse qui met la graine en l’homme et c’est ce dernier qui tombe enceinte, supporte la grossesse et surtout l’accouchement. Quel triomphe formidable de la féminité sur la soi-disant supériorité masculine

J’ai posé pour plus de cent tableaux qui ont servis à embellir le quotidien de milliers de gens, qui ont servis à faire évoluer les mœurs vers une sexualité plus libre dont profite la jeunesse actuelle. Pense au fait aussi à quel point la définition de ce qu’on appelle la perversité a changé. L’homosexualité ne plus une pratique honteuse, mais un phénomène de société et je m’en réjouie. Tu t’en doutes que je suis pour les mariages entre homosexuels. Je suis aussi pour une sexualité libre entre personnes consentantes. La révolution française a séparé état et église. La révolution sexuelle a séparé vie privée et morale. Depuis la nuit du temps les classes supérieures ont profité de toutes les possibilités pour exciter leurs sens, mais ils ont réprimé les petits gens sous le prétexte de bonne moralité.

 

Chloé s’est laissée emporter par son enthousiasme. Elle a une voix qui porte. Les gens se sont retournés vers nous. J’ai envie de me faire toute petite et de me cacher.

 

L’après-midi touche à sa fin. La chaleur devient torride. J’ai une excellente mémoire et les mots de Chloé se sont gravés dans mon esprit. Ses théories ont l’air tellement simples. Il suffit de les appliquer dans la vie. Au moins, maintenant je suis armée.

 

Chloé me propose une promenade dans le centre ville. Elle me montre des boutiques de maquillage où elle se sert, on me donnant des conseils précieux.

 

Elle me parle de parfum en soulignant que l’odeur naturelle de la femme soit la plus puissante des aphrodisiaques. Les phéromones se trouvant dans les secrétions de notre peau sont captées par les hommes. S’il y a compatibilité des odeurs, un lien invisible se crée spontanément entre deux personnes. D’où l’importance fondamentale de soigner aussi bien son odeur que sa voix et son physique. Un bon parfum ne doit jamais cacher l’odeur de la femme, il doit être son compagnon. C’est là, le secret de la parfaite séductrice. On "sent " une séductrice, dit notre langage.

 

Quand aux phéromones j’ai quelques réticences. Il n’existe aucune preuve scientifique de leur efficacité. Par contre, j’ai lu quelque part une étude fort intéressante à ce sujet. Il s’avère que dans les cloîtres les nonnes en âge de procréation (sic) ont leur règles toutes au même moment on « réglant » leur horloge biologique sur celle de la mère supérieure.

 

Les boutiques ferment. Les commerçants se préparent pour un week-end bien mérité. Chloé me propose de souper avec elle. Je ne vois aucun inconvénient. On a passé un bon moment ensemble et j’aimerais faire durer le plaisir. Demain je ne suis qu’attendue vers midi chez mon frère et ma belle sœur. Je ressens ces dimanches ennuyeuses comme une corvée. Je me suis pliée pendant des années à ce rituel et personne ne comprendra si je me décommandais. On me connaît bien. Bella est éternellement disponible pour sa famille. Pourvu que cela change. Pour l’instant il me manque encore le courage. On ne refait pas une vie entière en quelques semaines.

 

Depuis ma rencontre avec Chloé, je me sens différente. Je ne suis plus la Bella d’avant. J’ai un devenir maintenant. Une nouvelle Bella se prépare et je commence à l’apprécier. Parfois elle me fait peur, parfois j’aimerais brûler les étapes. J’ai l’impression que mon équilibre repose entre les mains de Chloé. J’éprouve une profonde gratitude envers cette femme, qui a su secouer la belle au bois dormant. Une Bella qui a du retard sur son époque et qui a surtout un retard envers la vie. Elle s’est trop longtemps privée pour les autres, elle a mis trop longtemps ses propres rêves aux oubliettes. Elle était devenue trop sérieuse, prudente et économe comme une mémère.

 

Chloé possède un joli quatre pièces à Toulouse, proche des beaux arts, avec balcon et vue sur la Garonne. Un endroit exceptionnel pour admirer un coucher de soleil magnifique. Je suis friande d’apprendre que son mari a exécuté, à l’abri des regards curieuses, sur le même balcon sur lequel je suis assise, toute une série de toiles. Maintenant elles sont un peu partout éparpillées en France et dans le monde.

 

-N’as-tu pas des tableaux de ton mari ici ? , demande-je.

 

-Je n’aime pas m’encombrer de souvenirs. Ils vivent en moi, je n’ai pas besoin d’un support visible. Pour moi, le passé n’a plus d’existence dans la réalité du présent. Il appartient au monde de la mémoire. Si je me laisserais engloutir par le passé, je n’aurais plus le loisir d’apprécier l’instant qui est la seule et unique vérité, un perpétuel devient qui bascule vers le futur. Je suis heureuse de vivre en fin gourmet, savourant avec délectation ce qui m’arrive. Autant pour le meilleur que pour le pire. Chaque événement a une raison d’être. 

 

-Je peux te poser une question indiscrète Chloé ?

 

-Naturellement. Pour moi, ce genre de questions n’existe pas. Je n’ai rien à cacher, surtout pas à toi Bella.

 

Je me sens flattée et cela me donne du courage.

 

-Reçois-tu des amants ici ?

 

-Jamais. Ici, c’est mon jardin secret. En plus, je ne veux plus m’engager dans une relation à long terme avec un homme. Un couple réussi est le fruit d’un travail en commun qui demande des années d’effort des deux côtés. Au début, il y a ce qu’on appelle de l’amour. Mais on s’aperçoit vite que cela n’est pas assez pour créer une harmonie. Il faut une multitude de centres d’intérêt à partager, sinon on tombe dans l’ennuie ; la routine et l’habitude sont la mort certaine de l’amour. Si on arrive à surprendre son partenaire tout les jours, même après des années, là on peut parler du vrai partage. J’ai partagé vingt ans de passion avec M. et après chaque année j’avais l’impression d’un surplus, d’une complicité qui devenait de plus en plus dense sans que l’un de nous deux se sente dépendant de l’autre. M. ne m’imposait rien, mis à part des séances de travail - et moi, de mon côté, je le laissais tranquille, quand il était en atelier avec ses modèles. M. était un homme charmant, un briseur de cœur, partout où il passait. Il ne pouvait pas s’empêcher de séduire, dès que l’occasion se présentait. C’était un jeu, il n’avait rien à se prouver, il était sur de lui. Pour lui, c’était sa manière de s’inspirer, de trouver des nouvelles idées. Il n’était pas un coureur des jupons, mais un collectionneur de beauté à immortaliser. Et cela se ressent dans ses tableaux, cette sincère passion pour la beauté féminine. Que cela soit dit, il choisissait souvent des modèles assez quelconques à mon goût, parce que la femme en face de lui, l’être humain avec ses défauts et qualités, le touchait. Mais sa manière de sublimer ces fleurs de l’ombre faisait son succès. Il n’offrait pas un quart d’heure de célébrité, il distribuait l’éternité. Quelle femme aurait pu refuser de poser pour un tel artiste ? Le côté narcissique ne connaît pas de limites.

M. était le centre d’un perpétuel tourbillon de nouveaux corps et visages.

 

-N’as-tu jamais été jalouse Chloé ?

 

-A ton avis ? Les premières années, je lui faisais des scènes terribles. N’oublie pas, je l’ai rencontré à seize ans et il était le grand amour de ma vie, malgré dix-huit ans de différence d’âge. Pourtant je n’ai pas vu un père en lui. Pour moi, il est resté toujours jeune. Il aimait rire, faire la fête, des bêtises, des surprises. Un personnage entier, sans la moindre répétition. Tu imagines, de te réveiller à côté de quelqu’un, sans savoir où il t’amènera ce jour-là. On partait souvent en voyage sur des coups de tête. Chaque fois que je lui proposais une activité, il était partant, avec l’enthousiasme d’un enfant qu’on émerveille. Il n’observait qu’une seule règle et là, il ne plaisantait pas : jamais laisser un tableau en chantier. C’était sa manière de respect pour ses clients et admirateurs. Parfois il me réveillait au milieu de la nuit pour m’annoncer qu’il avait fini. On disposait d’une voiture confortable, dans laquelle je continuais mon sommeil pendant qu’il conduisait. Il était insomniaque. Au début, j’essayais de faire les valises. J’ai vite abandonné. Je n’avais pas besoin d’emporter avec moi quoi que ce soit. Il m’achetait sur place ce dont j’avais besoin. Quand il voyait un endroit qui l’inspirait, il s’arrêtait et préparait ses fonds de toile, pendant que moi je dormais.

Le coffre de la voiture abritait un atelier ambulant. Par contre, il cachait jalousement ses toiles de tout regard pendant qu’il travaillait. Il ne supportait pas qu’on l’observe pendant les séances. Personne n’a jamais vu des étapes d’un tableau, même pas moi. Il a tourné "La fille aux cheveux noirs" vers moi, une fois fini. Je ne me suis jamais sentie aussi belle qu’à ce moment là. Il m’a révélé à moi-même. De suite je me suis sentie comprise par lui. C’est plus qu’un nu, c’est la vision de l’intérieur de mon âme. Comme j’étais heureuse de me voir en beauté parfaite et effrayée à la même occasion par ce coup d’œil dévoilait plus que je savais sur moi à cette époque.

Je divague un peu. Excuse moi. M. était un personnage extrêmement complexe, que je perds vite le fil. Retournons à la jalousie.

Je suis restée son modèle pendant un an, sans qu’il me fasse la moindre avance. Il avait une façon personnelle de mettre une femme à l’aise, ce qui est indispensable pour les nus.

Puis, un beau jour, au milieu d’une séance de travail, il a posé son pinceau. Il avait un rapport charnel avec la peinture. Parfois il se servait de ses doigts, de la paume de sa main, des avant bras ou coudes. Il avait horreur des blouses de peintre et ses vêtements étaient aussi tachés que lui.

Il s’est approché de moi en me disant :

  -Ma belle, petite Chloé. Je n’arrive plus à te considérer comme un modèle.

Il m’a tendrement embrassée sur la bouche. Combien de mois j’avais espéré ce moment. Je me suis blottie dans ses bras. Il m’a caressé mon corps avec l’art d’un peintre expérimenté, laissant des empreintes de couleur partout. Il y avait l’odeur de peinture, l’odeur d’huile et ses mains douces et glissantes. Ça c’est passé un après-midi ensoleille dans cet appartement.

C’est ainsi que je suis devenue sa compagne. Comme toutes les jeunes filles je voulais l’exclusivité de lui. J’étais trop inexpérimentée pour comprendre qu’il avait besoin de plus qu’un seul modèle.

Jalouse, furieuse et j’ai faillie me battre avec une fille qui venait pour poser. Il nous a calmement séparées et s’est excusé auprès de la fille pour l’incident. Il lui a demandée de nous laisser seuls pour un moment, en précisant que ce ne serra pas pour longtemps.

Une fois seul il m’a dit :

  -S’il y avait un choix à faire entre toi Chloé et ma peinture, ce sera la peinture, sans hésiter.

S’il y avait le choix entre toi et une autre femme, ce sera toi. Je sais très bien faire la différence entre mon travail et mon amour.

  -Moi, je veux des certitudes. Si ton amour pour moi est sincère, épouse-moi.

  -Promis ! Dès que j’aurai finis mon nouveau tableau, je m’occuperai de notre mariage. Vas en ville, pour te choisir la robe de tes rêves, mais laisse-moi travailler maintenant.

Il a cherché la fille et disparaissait dans l’atelier avec elle. Je me suis trouvée seule et exclue.

Nonobstant, on s’est vraiment marié, comme il avait promis. J’ai mis pas mal d’années à le cerner. On fait, c’était un homme parfaitement fidèle, malgré un nuage de femmes qui flottait en permanence autour de lui. Vers mes trente ans, je n’avais plus l’ombre d’un doute sur lui.

On formait un couple uni sans disputes, dans une confiance mutuelle. Je ne te cache pas que moi aussi, pour ma part, j’étais courtisée de tous les côtés. Il ne me demandait jamais des comptes de mes journées ou soirées, quand il travaillait. Il m’aurait été facile de le tromper.

Après sa mort, je ne suis pas restée longtemps sans compagnie d’homme. J’avais trop de mal à supporter la solitude. Elle me pesait à un point de me jeter dans des bras inconnus.

Malgré tout, je pense que je suis restée fidèle à M., à ma manière. Jamais je n’ai amené un amant ici. Aucun entre eux ne sait où me trouver à Toulouse. J’ai l’habitude d’apparaître et de disparaître quand cela me chante. J’ai aussi appris à me familiariser avec la solitude. Parfois elle me manque et je me cache chez moi. Le reste du temps, je vis à cent à l’heure et je m’amuse. J’aime le bain de foule, j’aime me montrer, j’aime me prouver que je plaise encore.

 

-Sur ce point, je peux te rassurer Chloé. Je n’ai jamais connu une femme aussi attractive que toi. Tu portes la séduction sur toi et tu ne laisses personne indifférent.

 

-Alors prouve le Bella !

 

Je deviens toute rouge. La réponse de Chloé a été trop évidente. Je n’ai pas d’expérience d’un premier pas. Je suis timide.

 

Heureusement Chloé est là. Elle me caresse doucement la joue.

 

-Comme cette rougeur te va bien Bella. L’attrait du nouveau, du défendu est inscrit dans tes yeux.

 

Elle s’approche encore plus vers moi et m’embrasse dans le coup. Sa langue tourne autour de la naissance de mes cheveux. J’ai la chair de poule, malgré la chaleur de ce soir. Elle commence à me mordiller mes oreilles, des petits coups de dents bien précis, comme si elle devinait instantanément mes points sensibles. Elle glisse sur mes bras et mains avec la pointe de ses ongles, remonte à nouveaux vers mes épaules et le haut du dos. La sensation est étrange, des caresses, mélangées à la sensation que l’on me gratte le dos. Je n’ose pas bouger. Je suis figée.

 

-Laisse-toi faire, dit-elle pour distraire mes inhibitions.

 

Sa bouche cherche la mienne. Elle m’ouvre délicatement mes lèvres avec sa langue et commence à m’explorer. Lentement par sa douceur et sa patience elle arrive à me détendre. Nos langues font connaissance. Je suis sécurisée. À mon tour je m’adonne à Chloé. Nos baisers deviennent de plus en plus ardents. Je sens que Chloé ouvre la fermeture éclair de ma robe qui tombe par terre en silence. Sentir ma robe glisser me semble comme des innombrables mains qui passent sur mon corps.

 

Le temps perd son existence. On se trouve tout les deux sur le lit de Chloé. Elle ne fait aucun effort de m’enlever le slip et le soutien gorge. J’ai envie de lui arracher sa robe, de lui arracher ses sous-vêtements, de sentir son corps nu collé contre le mien. Et elle attend, respecte ma pudeur, se languit d’une initiative de ma part. Je ne suis pas encore prête. On n’exorcise pas des tabous dans une seule soirée. Ma réticence, ne la fâche-t-elle pas, ne la vexe-t-elle pas ? Est-ce qu’elle me donnera une deuxième chance, si je jouais aujourd’hui ma carte de l’ingénue. Est-ce que je frustre Chloé autant que je me frustre ? Malheureusement, je n’arrive pas à me décoincer. Nos corps se collent, s’enlacent, se frottent. Le désir d’être nue devient irrésistible. Et là, à ma grande surprise, Chloé se détache de moi et se lève. Ma frustration n’a plus de limites. Abandonnée en pleine excitation, Chloé me regarde avec tristesse et compassion.

 

-Aujourd’hui, ce n’est pas notre jour Bella. Je suis peut-être allée un peu trop loin, je ne voulais pas te bousculer. Mais je ne suis pas pressée parce que tu m’es précieuse. La prochaine étape sera la bonne. Et si je nous préparais à manger ? N’as-tu pas faim ?

 

 

suite chapitre 4.1

 

Par isabelle183 - Publié dans : La fille aux cheveux noirs
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Mardi 29 avril 2 29 /04 /Avr 18:41

                              2  RÉFLEXIONS À LA MAISON              

 

Je ne reverrai pas Chloé avant deux semaines. Je sais qu’elle voyage beaucoup. C’est sa grande passion. Elle adore visiter des nouveaux coins et faire des rencontres. Sa gentillesse naturelle lui facilite la tache et sa beauté et son éternel sourire sont des atouts majeurs.

 

Je ne me sens pas du tout jalouse de sa vie. Je suis plutôt une femme qui a besoin de repères. Je suis bien dans mon petit deux pièces que la mairie a mise à ma disposition. Le salon avec son coin cuisine est bien exposé avec vue sur la ville et les montagnes. Le soir, j’aime regarder par ma fenêtre les lampadaires à l’ancienne en fer forgé. Les touristes se promènent dans les rues. Les néons des bars et restaurants s’allument sur un fond de ciel sur lequel défilent toutes les gammes imaginables de bleu. On dirait un tableau de M, sauf que ses créatures de rêve manquent. Qui sait, peut-être en passant par ici, il m’aurait remarquée, m’aurait proposée de me peindre. Qu’aurais-je fais ? Je pense que j’aurais été partagée entre deux formes de lâcheté : trop lâche pour accepter, trop lâche pour refuser. Je me serais sûrement enfuie avec le regret de passer à côté d’un événement. Ma pudeur maladive, en seul héritage parental, est un fardeau bien lourd. Moi aussi, j’aimerais être sublimée et éternisée sur une toile. Comme Chloé. Pourquoi alors aurais-je refusé ? À cause de ma peur que l’on me confonde avec une femme facile, surtout en se montrant nue sur un tableau.

 

Et puis, ce permanent sentiment de culpabilité. Si je fantasme sur le fait de me montrer nue devant les visiteurs d’un musées, ne ressemblerais-je pas au font à une allumeuse, version intellectuelle certes, mais une femme exhibant ses charmes sans la moindre retenue quand même ?

 

Je m’accommode à ma médiocre réussite professionnelle. Le fait de gagner ma vie me semble un assez grand mérite. Ma place est stable et je suis à l’abri du chômage. Je n’ai pas besoin d’exhiber mon corps pour manger. Pourtant le travail n’est nullement garant d’indépendance de nos jours. Le plus souvent il exprime la soumission envers les exigences de la vie. On faisant mes études, je rêvais d’une carrière dans la bibliothèque nationale. L’idée, d’avoir accès aux manuscrits originaux de nos plus grands écrivains, me faisait plus frissonner qu’un mariage avantageux. J’étais recalée au concours. Je ne veux pas entrer dans la polémique qui tourne autour du principe de piston. J’ai bénéficié moi-même de ce système, après tout. Je ne suis pas devenue la bibliothécaire de mon village à cause de mes compétences, mais parce que je suis native du lieu. Mes parents et surtout mon frère me le rappellent assez souvent.

 

Ma petite ville me plaît bien. Je sors rarement le soir parce que j’ai du mal à faire des rencontres. Les bars et discothèques sont loin d’être mes lieux favoris.

 

Il me reste presque plus de copines. Elles sont toutes mariées. Elles ne m’invitent jamais. Je crois qu’elles ont peur que je leur pique le mari. Pourtant je ne suis certainement pas une tentatrice, plutôt timide et réservée. Je ne possède pas non plus une garde-robe qu’on pourrait qualifier provocante. J’ai une préférence pour les jeans mode et des moulants T-shirts barioles. J’ai une jolie poitrine, un peu petite à mon goût, et j’essaye de la mettre en valeur. Pour aller travailler je mets souvent une jupe écrue et évasée avec un twin set rose thé ou un pantalon noir à pinces avec un chemisier blanc ; pour me donner un air sérieux et décontracté à la fois. Je ne me vois pas en tailleur. Soit ça fait vielle fille, soit star lubrique de feuilleton américain style Ali McBeal. Ni l’un, ni l’autre me correspond. Je ne suis pas une midinette qui veut aguicher pour se soustraire à une pitre condition.

 

À la maison je suis toujours en jean avec mon pull noir fétiche, coupé près du corps. Ce petit pull me rappelle tellement de bons moments, j’aime le porter. Je ne crois pas qu’il soit tellement beau, mais je m’y sens à l’aise et ça, ça m’aide.

 

J’avoue que mon présent ne m’enchante pas. Cependant il me rassure par son immobilité, son absence de surprises. J’évite les pensées à l’avenir parce qu’elles m’effrayent. C’est là, où la réalité m’échappe. Le présent fini toujours par se transformer en futur. Je vis au bord du vide, hypnotisée par une attirance morbide. On ne comble pas ses lacunes en restant sagement à la maison.

 

Les rues se vident vite le soir hors saison touristique. Je l’impression que la ville m’appartienne, à moi seule. J’aime le calme, mélangé au doux bruissement de la rivière qui traverse la vallée. On s’habitue tellement à cette eau vivante qu’elle devient un berçant fond sonore.

 

Toutes les demi-heures on entend le clocher. Bien sur, à partir de dix heures du soir jusqu’à huit heures du matin on verrouille la sonnerie. On ne cherche pas à embêter les touristes.

 

Je ne me pose pas vraiment des questions pourquoi je vis seule, peut-être à cause de mon enfance, un peu spéciale, ou à cause de la déception avec mon mari. J’ai un beau visage avec des yeux très verts qui plaisent beaucoup. En ce qui concerne mon corps, je n’ai pas à me plaindre non plus. Je suis très grande, mince avec des belles fesses en forme de pomme. Pour cette raison je porte souvent des jeans. Je trouve qu’ils me mettent bien en valeur, sans provoquer ou choquer. Je préfère passer inaperçue.

 

Je suis ne pas une fanatique de bijoux précieuses. Le toc me suffit amplement, avec une tendance pour ce qui est clair. Je trouve que ça me va bien avec mon look de fausse rousse. Mes cheveux sont mi-longs, permanentés, fournis et épaisses.

 

Je porte toujours une bague en topaze bleue, un cadeau de ma grand-mère pour mes vingt ans.

 

En maquillage je n’y connais pas grand chose. Bien sur, je fais un effort pour mon travail : teint clair, jeux pairs et très rarement un teint mat, beige nature. Un coup de eye-liner noir avec un mascara assorti et je suis prête. Je ne suis pas une femme qui passe des heures dans sa salle de bains.

 

Je n’ai pas habitude de rouge à lèvres. C’est inutile. Mes lèvres sont bien dessinées et pulpeuses naturellement.

 

Par contre je connais l’importance des mains dans mon boulot et j’opte par facilité pour un blanc nacré.

 

Tous comptes fait, je suis une jolie jeune femme. Alors pourquoi je reste seule ? Peut-être par habitude que j’ai acquise pendant les quatre dernières années.

 

En bouffe, je ne suis pas exigeante. Pour le midi je me prépare des salades de riz avec du thon ou anchois de préférence, ou, si je la flemme ou un coup de cafard, je fréquente le snac à côté de la bibliothèque, pour un sandwich poulet salade, sans mayonnaise. J’ai trop peur de grossir.

 

Les soir c’est le plateau télé ou simplement du fromage, surtout des pattes molles à caractère, mon pêché mignon.

 

Un dimanche sur deux, je mange chez mes parents, mon éternelle hantise. Chaque fois je me pose d’avance la question ce qu’ils veulent encore de moi. Le dimanche suivant, je suis invitée chez mon frère et ma belle sœur. Manière de tuer le temps et garder des bonnes relations.

 

Mes seuls moments de loisir, ce sont les samedi et le mercredi après-midi que je consacre entièrement à la culture : musées, expositions, tour des librairies.

 

Je vie sans histoire. Puis, Chloé est apparue, pour tout chambouler.

 

Je me suis achetée un catalogue de vêtements par correspondance que je feuillette avec la même passion avec laquelle je lisais avant les grands classiques. Je suis étonnée par la multitude de possibilités pour une femme de se faire belle. J’essaye de m’imaginer dans des tenues extravagantes ou carrément sexy. Mes rêves sont en train de changer. Je n’ai plus envie de vivre les passions des autres à travers des mots imprimés. J’ai décidé de prendre part à la vie, créer mes propres aventures. Pendant des années j’ai menti à moi-même. Au fond de moi, je ne suis pas cette fille sage que je représente pour toute la ville. Moi aussi, je veux plaire, surtout à Chloé.

 

Je me rends compte à quel point on ment aux adolescentes. Au lieu de nous aider à développer les talents et capacités qui sommeillent en nous, on essaye de nous enfermer dans un rôle que notre civilisation réserve toujours à la plupart des femmes. Une certaine soumission est exigée, car une femme sure d’elle, fait peur aux hommes. Une jeune fille, promise à un avenir brillant, se heurte à une morale absurde. Malgré les efforts du féminisme rien n’a véritablement changé hors des grandes villes. Ce qui est différent aujourd’hui, c’est que l’on cache le statut d’objet sous un prétexte de mode. La publicité est impitoyable. Elle envahit aussi bien l’univers masculin que féminin. Elle ne connaît pas de limites, en seul domaine où l’homme et la femme sont égaux. L’homme aussi se commercialisé et devient un produit de consommation. Quelle belle consolation ! Mais comment faire pour y résister ?

 

Depuis quelques jours je montre un incroyable intérêt pour la lingerie, moi qui n’ai jamais abandonné le cotton. Je découvre les bustiers, les bodies, les porte-jarretelles et les guêpières. Honnêtement, c’est beau. Mais j’ai du mal à m’imaginer dedans. Ma mère m’a toujours fait comprendre que ce sont des vêtements pour filles à mœurs légères. Un souvenir me revient. À l’age de quatorze ans je m’étais achète un porte-jarretelles, discrètement bien sur, parce que je l’ai trouvé ravissant. J’avais beau à le cacher. Ma mère qui avait toujours fouillé mes affaires le trouva et me fit une scène terrible qui s’est fini par une correction physique.

 

Les jambes de Chloé l’autre jour étaient gaines par un superbe collant ou fut-ce des bas à coutures. Je n’en sais rien. Connaissant Chloé, la solution de l’énigme me parait assez évident. J’entrevois mes contradictions. Je refuse d’intégrer avec tout moyen le rôle classique, destinée à une femme, mais secrètement je rêve de me transformer en aguicheuse. Ma tête et mon corps ne parlent pas le même langage ; ce que mon esprit me défend, enflamme mes sens. L’excitation n’obéit pas à la logique. Ici se pose mon véritable problème, me concilier avec moi-même, trouver un compromis, un équilibre vivable qui reflète pleinement ma particularité d’être humain ; sans renoncer à mes idées, sans priver mon corps de sensations. J’ai lu beaucoup d’ouvrages sur la psychologie. Gaston Bachelard dit qu’une analyse s’impose si dans une connaissance la somme des convictions personnelles dépasse la somme des connaissances qu’on puisse expliciter, enseigner ou prouver. Je pense que c’est mon cas. Cependant je n’ai pas envie de me confier à n’importe qui. Le déroulement des séances me répugne. Je ne veux pas me trouver en face de quelqu’un qui, par éthique professionnelle, se veut neutre, indifférent en pratiquant une écoute flottante. Je préférerait me confier à un être doté d’une âme, d’une compréhension chaleureuse, comme Chloé. Devant elle je n’aurais pas honte de me laisser aller pour lui révéler mes abîmes. Elle ne m’aidera pas à trier le rationnel de l’irrationnel, ce que je saurai faire moi-même ; non, elle me réconfortera par son vécu dans mes irrationalités. J’ai besoin d’un échange amical, d’une initiation au monde des sens.

 

Chloé est si différente de ma mère et seulement sept ans les séparent. Je regrette de ne pas être la fille de Chloé. J’aurais moins souffert pendant mon enfance, je serais différente aujourd’hui, sans complexes, sans honte, culpabilité et fausse pudeur.

 

De l’autre côté, quel avantage d’être son amie. Elle m’a invitée à B., au bord de la mer. Une ouverture inespérée vers une nouvelle vie. B. se situe assez loin de chez moi, je pourrais me permettre des caprices qui me sont interdits chez moi où tout le monde connaît mes parents. À B. je pourrais devenir moi-même. Je me rends compte que je ne suis pas ce que je voudrais être et surtout que je ne sais pas ce que je voudrais être. Je suis sure que Chloé va m’aider à découvrir la véritable Bella. J’envie Chloé pour son autonomie et sa façon d’être naturelle, d’être simplement elle. Le mot envie est faible. Il y a un arrière goût de jalousie et, même si je n’ose pas me l’avouer, une certaine haine parce qu’elle peut se permettre ce qu’on m’a défendue depuis ma plus petite enfance. Elle ne doit des comptes à personne. Sentiment étrange de haïr quelqu’un qui nous attire. Oui je suis attirée par Chloé et je la déteste pour cette raison. C’est le côté de ma mère en moi qui crée ce sentiment. Je suis confuse. Ma mère a trop bien réussie mon éducation on me inculquant une multitude de tabous, qui vivent en moi et qui m’empêchent de m’épanouir. Au lieu de haïr Chloé, je devrais haïr ma mère, mais j’en suis incapable. Toute ma vie j’ai essayé de gagner son amour, sans avoir le moindre retour. Tous mes sacrifices pour lui faire des cadeaux. Inutiles ! Jamais contente. Je plains mon père. Suis-je comme elle ?

 

Chloé, aux yeux de ma mère, est une femme peu fréquentable. J’ai vingt sept ans, mais ma mère serait capable de m’interdire le contact. Je me sens devant un choix difficile. Si on nous verrait ensembles au village, un conflit entre moi et mes parents éclatera à coup sur.

 

Je crains le pire. Je vois mes parents rompre les liens avec moi. Quel gâchis. Je sais que je suis faible. Vais-je laisser tomber Chloé pour faire plaisir à mes parents ? Continuerais-je ma vie qui m’ennuie de plus en plus ? En tout cas dès que ma mère apprendra l’histoire avec Chloé, je n’aurai plus droit au petit plats cuisinées qu’elle me donne toutes les semaines.

 

J’essaye de chasser les idées noires par des rêveries érotiques. C’est ma façon à moi de me détendre. Je médite sur le tabou de la nudité, si bien encrée dans notre culture judéo-chrétienne. Combien de tableaux célèbres étaient censurés avec la feuille de vigne, par des âmes bienveillantes au nom de la pudeur et des bonnes mœurs. Encore au siècle dernier, le fait de montrer des sculptures d’hommes et femmes nus, était prohibé, même le nu artistique n’échappait à peine à la censure.

 

Et Chloé dans tout sa ? Se pose-t-elle ce genre de questions-là ? Je ne pense pas. Elle fait ce qui lui plait. Elle s’en moque de ce que les autres pensent. Elle n’écoute que son désir.

 

Poser nue pour des tableaux, devant des peintres, me fascine, m’excite, me choque. Bonjour mes tabous et encore merci ma mère. Mais le trouble c’est installé en moi, mes valeurs ont prises une gifle salutaire.

 

Je sais que j’ai des forts désirs exhibitionnistes. En face de ma chambre se trouve une maison de retraite. Mes rideaux sont fins et avec la lumière artificielle il n’est pas impossible de me voir de l’autre côté quand je me déshabille pour me coucher. Je ne sait pas réellement si on m’observe ou pas. Mais l’idée en moi n’est pas innocente : le fait d’être vue nue ou quasi nue me provoque des frissons. Je suis fière de mon corps et j’aimerais qu’on puisse le constater. Mélangé à un sentiment de gêne, un peu malsain parce que ceci m’excite, j’ai des montés d’adrénaline, pas possibles. Parfois je fantasme sur le fait qu’un de mes lecteurs de la bibliothèque pourrait m’observer.

 

Ma justification est toute faite : je suis chez moi. L’autre n’a pas à regarder ce qui se passe dans mon appartement. C’est lui le fautif, le voyeur. Moi, je garde bonne conscience.

 

Je ne suis pas très intrépide de nature : sinon je ferais bien du sauna. Dans mes fantasmes les plus poussés j’imagine des vacances naturistes.

 

Chloé m’a confié qu’elle aime prendre des bains pendant des heures. Là aussi, mes souvenirs sont cuisants. On restant trop long temps dans la baignoire, ma mère est entrée dans la salle de bains, sans prévenir comme d’habitude. Elle me surprend en train de me masturber. Fidèle à sa manière, j’étais sévèrement punie, autant physiquement que moralement.

À l’heure de l’arrive de mon père de son travail, j’ai dû attendre au coin. Mon père, contestant les méthodes de ma mère, refusait de m’infliger une correction supplémentaire, ce qui générait une violente dispute conjugale, suivi d’une bagarre physique entre mes parents.

 

Pendant des mois ma mère m’a tenue pour responsable de ce conflit familial, avec comme conséquence une interdiction totale de la baignoire ; approuvé par mon père qui se réjouissait des économies supplémentaires.

 

Jusqu’à mon mariage, je ne me suis rarement masturbée ; par peur inconsciente d’être punie, malgré le fait que je suive des études dans une autre ville.

 

Inutile de dire que je n’ai pas connue d’orgasme avec mon mari qui ne pensait qu’à son plaisir, sans se soucier du mien. Il me reprochait d’être frigide et m’a vite trompée. 

 

J’ai connu d’autres hommes qui étaient plus tendres, mais mes orgasmes sont restés rares et pas vraiment satisfaisants. Alors quoi de plus naturel que de rester seule et vivre dans mes rêves ?

 

Je fantasme sur des scénarios avec Chloé. Je veux me sentir pour la première fois de ma vie vraiment aimée, dans le sens psychique et physique, et je veux que ce soit par une femme. Récompense ultime pour un manque d’amour pendant toute une vie.

 

L’histoire de la poétesse Sappho sur l’Isle de Lesbos m’est bien connue. C’est une histoire triste : Sappho, rejetée dans son amour pour Paon, se noie dans la mer, par désespoir.

 

J’adore la poésie et je trouve que René Char a bien résumé le pourquoi : « le poète est la partie de l’homme réfractaire aux projets calculés ».

 

Avec Chloé je suis en train de découvrir mes tendances lesbiennes. Je ne suis pas à la recherche d’un ersatz pour un homme, je suis en quête d’amour d’une femme plus âgée que moi. Je ne suis pas dupe sur mes motivations. Je veux me libérer de l’emprise de ma mère. Pourtant je ne vois pas une mère en Chloé, mais une vraie amie et qui veut bien partager ses expériences avec moi.

 

Peut importe ce que disaient les psychiatres, il n’y a pas longtemps encore : Le lesbianisme n’est pas une perversion (comme c’est rassurant), mais une déviation érotique ; soit fondé sur une névrose profonde (voir les péripéties de mon enfance), soit sur une absence de maturité. 

 

Pour moi, Chloé est le symbole même de la femme féminine, de la « vraie femme » comme disent les hommes. Chloé mon amour, comme deux semaines de séparation peuvent être longues. On plus, tu ne me donnes pas signe de vie. Je me sens affreusement seule et abandonnée. Reviens-moi vite. Enlève-moi dans ton univers de poésie et de magie.

 

 

suite chapitre 3

 

Par isabelle183 - Publié dans : La fille aux cheveux noirs
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Vendredi 18 avril 5 18 /04 /Avr 15:13

                                                               CHAPITRE I


                                              LA RENCONTRE

 

J’ai toujours été attirée par l’œuvre controversée du peintre M., disparu, il y a cinq ans, dans un accident de la circulation. Déjà adolescente, l’impudique charme de ses créatures me faisait plus vibrer que n’importe quelle actrice, chanteuse ou encore ambassadrice de mode. Ce goût, peut-être trop intellectuel, peut-être trop équivoque, m’a mise devant une évidence : dans le milieu où j’ai grandi, on juge inutile et dépourvu de sens ce que l’on n’arrive pas à comprendre. On rejette catégoriquement ce qui trouble nos sens et ce qui fait perdre le sang froid. La nouveauté commerciale est plus appréciée que la nouveauté des idées. Ce manque de curiosité envers la vie me semble caractéristique pour ma région.

 
Je dois être en décalage avec mes parents et mon frère, avec mes copines et mon entourage, peut-être même avec mon époque. J’étais aussi en décalage avec mon mari. Je l’ai mis à la porte seulement un an après notre mariage.

 
Je m’appelle Bella et j’ai vingt sept ans. Je suis bibliothécaire dans une petite ville touristique dans le sud de la France et je m’ennuie. J’aimerais me détacher de la conformité qui règne dans le soi-disant individualisme actuel. Je n’ai pas envie de m’enfermer déjà dans des clichés qui me paraissent ridicules. Je me sens trop jeune pour faire une croix sur une vie authentique et passionnante. Mais je suis toute seule et, pour que cela soit dit, pas très audacieuse pour réaliser mes envies. Pourtant ce ne sont pas les rêves qui me manquent et je me consume à petit feu à force de subir ce que les autres me dictent.

 
Puis, un mercredi ensoleillé du mois de mars, je m’étais enfuie de ma campagne vers Toulouse. Un exploit à mon niveau, motivé par une rétrospective en honneur d’M. Les barrières de la résignation, de la docilité et de la passivité s’effondrent parfois les jours de mes congés. 

 
Au musée de l’art contemporain l’inimaginable s’est produit. J’ai rencontré la "Fille aux cheveux noirs". Elle ne ressemblait plus vraiment à la jeune fille qui avait posé vingt cinq ans auparavant pour ce tableau. Une femme au sommet de sa beauté se tenait devant moi dont le visage reflétait encore les traits candides qui avaient rendus le tableau célèbre. Elle avait remplacé sa jeunesse par une personnalité intrigante ; un mythe qui a su bien vieillir. J’étais tout de suite fascinée par cette femme, au point de prendre l’allure d’une statue au beau milieu des tableaux. C’est là, où elle m’a adressé la parole.

 
-Préférez-vous les visions des autres aux merveilles qui sommeillent en vous ?

 
-Pourquoi cette question ?

 
-Nous sommes mercredi après-midi et dehors il fait bon. Les salles sont vides. À part vous et moi, personne n’est tenté aujourd’hui par la culture.

 
En fait, j’espère que je ne vous déçois pas trop. La beauté des muses n’est pas éternelle.

 
Pour la première fois de ma vie je me trouve en face d’un être qui appartient à un monde habituellement fermé aux humbles mortels. Je me refuse de vouer un culte aux people, mais je suis impressionnée quand même. Je me sens bête devant cette femme, Chloé M., icône de mon adolescence, connue pour son audace et – les mauvaises langues l’oublient souvent - meilleure danseuse classique de sa génération.

 
Je laisse parler mon cœur :

 
-Tout le monde passe par la jeunesse. Simple coïncidence biologique. Personnellement j’ai un faible pour la maturité.

 
Je découvre que la singularité de cette femme réside plus dans la richesse d’expression de son visage que dans les lignes parfaites de son corps. Sa sensualité passe avant tout par le regard. C’est là où se crée la distinction entre un pur objet de plaisir et une femme consciente de ses possibilités. Ses yeux dégagent une telle présence que son corps devient un accessoire pour sublimer un ensemble. Je comprends pour quoi M. a fait d’elle son modèle favori.

 
-Quel est votre prénom ?

 
-Bella !

 
-J’aimerais vous confier un secret Bella. La présence est un art qui se travaille.

 
-Vous me trouvez effacée, n’est-ce pas ? On me le dit très souvent ?

 
-Vous ressemblez à la jeune femme que j’étais au moment de poser « pour la fille aux cheveux noirs ». Quelque chose à l’intérieur de vous fait obstacle, vous empêche de s’ouvrir à la vie.

 
-J’ai parfois l’impression qu’au fond de moi se cache une autre

 
-.Oui, une beauté qui s’ignore. Vous avez tout pour plaire et séduire. Personne ne pourrait vous résister si vous travailleriez un peu sur vous-même.

 
Je suis perplexe. Les mots de Chloé me troublent. C’est trop beau pour le croire. Mais son visage dégage une profonde sincérité. Et sa voix et si mélodieuse et si envoûtante.

J’aimerais tellement qu’elle m’apprenne.

 
-Comment s’y prendre ?

 
-Avez-vous un peu de temps devant vous ?

 
Comme une gamine, prise en flagrant délit d’espionner les adultes, je rougis.

 
-Je vous trouve adorable, dit Chloé. Cette innocente pudeur, en couleur cuisse de nymphe émue, comme aurait dit mon mari, vous va si bien.

 
-Puis-je vous répondre avec une citation de Nietzsche ? La connaissance aurait peu de charme s’il n’y avait sur le chemin tant de pudeurs à vaincre.

 
Elle me regarde avec stupéfaction. Ca y est : J’ai encore crée un décalage de plus.

 
Elle n’en tient pas compte. Ouf, je suis sauvée.

 
-Il est bientôt midi. On devrait grignoter quelque chose. Me feriez-vous le plaisir de m’accompagner dans un petit restaurant sympa. J’ai horreur de manger seule. C’est juste à quelques pas du musée. Je vous invite.

 
Je n’ai pas l’habitude de me faire offrir le restaurant. Je tiens toujours à payer ma part. Étrangement, aujourd’hui je n’ose pas refuser. Chloé est tellement entraînante. Elle me communique sa bonne humeur. Je me sens heureuse pour la première fois depuis longtemps. Après tout, cela se fête.

 
Mes pensées divaguent. Quelle est donc la raison que je me sente si heureuse ?

 
Au lieu de me réjouir d’un bonheur si inespéré, je me penche sur une analyse détaillée de mes états d’âme, ce qui est absurde en soi, mais si caractéristique pour moi. En plus, je m’égare dans les définitions.

 
Quelle est donc la définition d’un sentiment ?

 
Cette réduction cartésienne ne m’effraye pas. Je suis en plein discours de la méthode. Sentiment : l’effet qu’une situation ou un objet, ici une personne, me procure, une interprétation particulière d’un vécu, liée à la notion du plaisir ou du déplaisir, au bonheur ou malheur, ou encore à l’ambivalence amour–haine.

 
Ça y est, j’y suis.

 
Des femmes comme Chloé m’attirent autant qu’elles m’incommodent. C’est plus fort que moi. J’ai toujours méprisé ces êtres qui se font entretenir et remorquer dans la vie au nom de leur beauté. Un tel comportement n’est pas vraiment vertueux (je parle comme mes parents), dans le sens où la vertu soit une qualité profitable à tous (je parle avec les mots de Platon) et non une nourriture pour mégalomanes (je parle à travers mes propres frustrations).

 
Je sais que j’appartiens à la confrérie des frustrés et je ne peux m’empêcher de faire du prosélytisme. Je ne suis pas contre que quelqu’un se procure des biens qu’il désire, mais d’une manière irréprochable, sans profiter des autres.

 
Quand j’étais adolescente, je suis passée dans un moule pour briser mes espérances. L’indépendance ne t’apporte rien. Pense à te marier.

Je déteste mes parents.

 
Alors je me suis révoltée : jamais je ne dépendrais matériellement d’un mec. Je suis devenue une femme libre ; par mon travail j’assure mon autonomie. Mon attirance pour Chloé me paraît suspect. Apparemment elle a bien suivie les conseils à l’égard des adolescentes. Par son allure, par sa carrière de modèle et rôle d’épouse elle arrive parfaitement à feindre une femme tel qu’elle devrais être. Sa façon de se vêtir ressemble à un déguisement. Son maquillage sert de masque. L’illusion est réussie. Mais elle va plus loin encore et c’est la où la double morale se dévoile : on accepte sans mal ce qu’on appelle une femme féminine, par contre on stigmatise la provocation. Quelle hypocrisie.

 
Pour l’instant je ne saurais dire si Chloé est intelligente ou pas. Par contre elle possède perspicacité et sens d’observation. Qu’a-t-elle vu au fond de mon âme, qui me vaut sa sympathie ?

 
J’ai l’impression que derrière une futilité apparente elle cache sa véritable personnalité, tandis que moi je la cache derrière une façade intellectuelle. Ce point, d’être obligé de jouer au cache-cache, peu importe l’approche à notre société, nous unis. Pour s’épanouir, tous le monde a besoin d’être reconnu dans sa vraie nature par un autre être humain. Et si c’était Chloé qui m’apporterait cette reconnaissance qui me manque tant.

 
Par une chance inouïe je saute sur un train en marche, à la première occasion qui se présente, même si mes sentiments envers Chloé et son monde ne sont pas sains. Je suis jalouse par privation d’un tel vécu qui me paraît subitement extraordinaire et enviable. Pour l’instant je ne suis pas capable de faire entièrement le tour de la question. Accrochée aux baskets Chloé, je lui suis comme une ombre qui se languit de la lumière. J’ai honte de moi et de mes pensées envers cette femme qui ne manifeste que des gestes de gentillesse à mon égard. La fascination opère, je suis subjuguée par ce que l’on appelle communément le charme.

 
Pour la saison l’air est un peu frais. L’idée de vivre quelque chose d’inhabituel me réchauffe.

 
Chloé m’amène dans un restaurant libanais. Je ne connais pas cette cuisine et il me tarde de la découvrir avec ma nouvelle amie.

 
Liban veut dire en arabe « montagne blanche ». Il s’agit d’une chaîne de montagne qui atteint jusqu’à trois mille soixante-six mètres et qui se situait en Syrie jusqu’en 1946, date de la fondation de la république indépendante du Liban. Venant de la montagne, je suis curieuse de savoir s’il existe, entre deux régions géomorphologiquement si semblables, mais géographiquement si distantes, des similitudes concernant la nourriture.

 
En entrant dans le restaurant, nous sommes accueillies par une musique douce et dépaysante ; l’odeur des épices caresse mes narines et la chaleur de l’endroit et sa décoration me font oublier la France. Je ne suis jamais allée au Liban. Je ne peux qu’imaginer à partir des photos dans les revues et livres de ma bibliothèque. Je suis bien documentée en géo ; sur la bouffe aussi, bien sur.

 
Malheureusement sans la chaleur d’un vécu, un livre de recettes ne sert que des plats froids. Je regrette amèrement de ne jamais prendre le temps de cuisiner. Quelle drôle d’idée. Je suis une femme libérée, une femme active. Je n’ai pas le temps, ni l’envie de m’intéresser aux taches ménagères. Et Chloé ? Saurait-elle préparer des petits plats ou est-ce que la vie d’artiste se déroule exclusivement dans les derniers restaurants à la mode ?

 
En tout cas, concernant le Libanais, je ne voudrais pas avoir un air trop ignorant en face de Chloé. J’en doute que ma culture de bibliothécaire fasse le poids. Alors je prends une décision importante : Je ne m’entourerai pas d’apparences trompeuses. Comment disent les Chinois ? Quelqu’un qui pose une question est considéré comme bête pendant cinq minutes, quelqu’un qui ne la pose pas, reste bête toute sa vie. Chloé m’inspire confiance. C’est décidé, avec elle, je serais enfin moi.

 
À mon grand étonnement ce restau ne marche pas trop mal. Quasiment plus de places sont disponibles. Le patron, derrière son comptoir, s’active et vient pour nous saluer. Visiblement il est familier avec Chloé. Il l’aide à enlever son impair ; à moi aussi à la même occasion. Il y a un début à tout. Je savoure ce geste d’attention. Ça me change agréablement des mœurs de la campagne.

 
Chloé porte une longe robe noire à manches touts simples. Dans cette ambiance exotique, la lumineuse base teintée de son visage avec des éclats de nacre, la rend presque irréelle. Le mascara brun roche, les paupières bleu vert irises, le rouge Chanel des lèvres et la coiffure, mise en plis à la Lauren Bacall, mettent à la merveille son côté excentrique en valeur. Pas surprenant qu’elle attire les regards. Le fait que ce soit moi qui l’accompagne, me donne de l’assurance.

 
Le restau possède une petite mezzanine, tout juste assez grande pour une table. La vue est plongeante, l’ambiance cosy et l’intimité garantie.

 
On montant les escaliers, je remarque la couture noire des collants de mon amie, un trait noir d’une droiture irréprochable en alignement harmonieux avec les talons aiguilles. À la démarche de Chloé on reconnaît facilement sa formation de danseuse classique. Avec elle je saisis ce que le terme élégance signifie vraiment.

 
-Les restaurants sont une bonne école de vie, dit Chloé. Il faut goûter à tout pour se faire une opinion. Désirez-vous du vin avec le repas Bella ? Je vous le conseille vivement. Les vins libanais sont fameux.

 
-J’adore les bon vins Chloé. Mais je dois refuser. Je viens d’A. et quand je me déplace en voiture je ne bois jamais.

 
-Je vous trouve bien raisonnable. Alors de l’eau minérale pour nous deux ?

 
-Volontiers !

 
L’étude de la carte nous prend un petit instant. Chloé m’explique les plats différents (fatouche, falafel, chich taouk et baklava). 

 
Puis, elle me pose des questions sur les régimes. Entre femmes il n’y a pas de mal.

 
-Le bon choix de la nourriture est d’une importance fondamentale. Sans alimentation pas d’avenir, inconvénient et privilège à la fois pour tout être doté d’un corps.

Ou, comme disait Roger Bacon, le moine franciscain : avant de commander la nature, il faut d’abord apprendre à lui obéir.

 
-Quel étrange vocabulaire Bella ! Obéir, commander ! Cherchons plutôt le côté jouissif de la vie.

 
-Je ne vois rien de jouissif dans la privation.

 
-Qui parle de privation ! Manger de tout, oui, mais en quantité raisonnable. Ensuite écouter son corps. Rien de plus simple. Il suffit de faire confiance au plaisir même. Dès qu’il s’estompe, le corps signale que nous avons assez mangé.

 
-Votre définition de la satiété me plait beaucoup, Chloé !

 
-Tenez Bella. Quand je découvre un nouveau plat, la première bouché est souvent la plus extraordinaire. La sensation est si intense qu’elle me rappelle le bonheur de la découverte de mon enfance.

 
La deuxième bouché imprègne le plaisir dans ma mémoire. 

 
La troisième bouché honore ma gourmandise, mais la quatrième est de trop, à mon avis, car l’exceptionnel perd son charme quand il devient une habitude.

 
- Vous avez une approche bien particulière à la nourriture et au plaisir. On ne m’a jamais parlée comme ça.

 
La mienne est beaucoup plus théorique, inspirée par la lecture.

J’ai retenu que le plaisir est plus lié à la qualité et diversité des ingrédients qu’à leur quantité ; qu’il réside davantage dans la découverte que dans la répétition et qu’il a besoin du partage pour atteindre son apothéose. Être sur la même longueur d’onde avec une autre personne permet de se surpasser et intensifier son propre vécu en rajoutant une dimension en plus qui resterait toujours inaccessible sans l’autre.

 
-Passons alors à la pratique.

 
-En fait, je vous trouve bien cultivée Bella.

 
-Mettez cela sur le bénéfice d’une déformation professionnelle. Je suis bibliothécaire.

  
-Comment est née votre passion pour les livres ?

 
-Ceci est un chapitre délicat, voire douloureux. Étant petite je n’avais pas le droit de jouer avec des autres enfants. D’abord, mon père est très anxieux de nature. Il se méfie d’un rien et voit le danger partout.

 
Alors j’ai commencé par me créer mes propres histoires avec comme seules copines, mes poupées et peluches. Puis à l’école apprendre à lire m’a ouvert des nouveaux horizons. Le monde d’extérieur que je convoitais tant, devenait accessible par la bibliothèque scolaire.

 
Deuxièmement, ma mère n’est pas ce qu’on appelle une femme instruite. Elle commettait des énormités devant les autres gens à un point que j’éprouvais de la honte pour elle ou plutôt à sa place.

 
Troisième étape : mes parents, tous les deux, partaient du principe que les études soient coûteuses et n’amènent à rien

 
-Une vocation ?

 
-Oui. Je me souviens parfaitement de ce jour-là. J’avais huit ans. J’étais en vacances chez ma grand-mère. Le ciel s’était couvert de brume et tous ce qui semblait loin disparaissait et cessait d’exister. À ce moment la maison me paraissait comme un cocon douillet et chaud. Dans la pièce à vivre se trouvait une petite étagère avec des livres pour tout âge et chaque goût. Le mauvais temps persistait pendant les vacances entières, mais c’étaient mes plus belles. Je passais mes journées dans les livres et faisais découverte sur découverte.

 
-Votre histoire est émouvante Bella. Si j’ai bien compris, vous êtes partie de rien, car votre père ne voulait pas financer vos études et votre mère ne voyait pas d’utilité. Comment avez-vous fait dans un contexte aussi difficile ?

 
-Je me suis donnée des moyens : des sacrifices sur les vêtements, le maquillage, les sorties et ainsi de suite.

 
-Je vous trouve bien courageuse.

 
-Vous étés la première à le remarquer. Pour ma mère tous mes efforts étaient un dû et pour mon père tous qui amenait de l’argent ou au moins qui ne coûtait rien, lui paraissait valable. Tous qui coûte, nous dégoûte, disait-il toujours. J’ai dû me financer mes études seule, aidée par une petite bourse et beaucoup de travail en restauration ou ménages. Ceci ne m’a pas énormément changé de mes parents. Déjà gamine j’étais la bonne à tout faire.

 
Vous comprenez aisément que j’étais motivée par mes études dans lesquelles personnes ne croyait. Même pas le jour où je tenais ma maîtrise en main. Je me voyais au bout de mes rêves.

 
Ensuite je me suis trouvée confrontée à d’autres difficultés. Un diplôme est une chose, décrocher un travail une autre. J’ai dû renoncer à mes ambitions et retourner au village en faisant appel à la mairie. On m’a généreusement confié la tache de créer une bibliothèque municipale pour les curistes. Je ne me plains pas, mon métier me plaît et me réserve beaucoup de libertés et initiatives. Je n’ai pas de supérieur, à part le maire bien sur, et je peux organiser ma bibliothèque tel que je le désire. Ce côté créatif de mon activité me paraît essentiel. Je ne considère pas mon travail comme une corvée, mais comme un moyen de préserver mon indépendance.   

 
Malheureusement j’ai fait mes comptes en excluant ma famille. En habitant chez eux ils ne cessaient pas de me rappeler à quel point ils s’étaient privés pour mes études et combien je leur devais. La proximité tue les sentiments.

 
Le regard de Chloé est bienveillant. Il n’exprime pas la compassion, mais un réel intérêt pour moi. Enfin quelqu’un qui sait écouter, à qui me confier.

 
D’ailleurs je suis étonnée de moi. D’habitude je ne parle pas aussi facilement. Je découvre un nouveau cocon où il fait bon vivre : la présence de Chloé.

Elle est en train de réfléchir, puis elle pose une question évidente et inévitable :

 
-Toutes ces années d’études et de travail vous ont sûrement empêché de faire connaissance avec la psychologie masculine ?

 
-Vous visez juste Chloé, quelques petites histoires et, à vingt et deux ans, un mariage   - pour échapper à l’emprise de mes parents   - qui s’est brisé après un an par un divorce.

 
-C’est vous qui l’avait demandé, n’est-ce pas Bella ?

 
-Oui, mon mari m’avait trompé avec une autre femme. Il ne s’est même pas donné la délicatesse de me cacher cette affaire.

 
Ce n’était pas le plus mal. J’ai pu enfin intégrer mon indépendance. Quand il est parti j’ai gardé l’appartement, heureuse d’être débarrassée de mes parents et d’un mauvais mari à la fois et depuis c’est le silence. Je ne vie que pour ma bibliothèque.

 
-Heureusement vous n’avez pas perdu le sourire.

Mais entre nous, Bella, avez-vous décidé de rester éternellement une petite fille ?

Votre chemisier fait si sage et vous osez à peine le maquillage. Ça ne vous tenterait pas de commencer enfin votre vie de femme ?

 
-Comment devient-on une femme ? Je n’ai jamais été informé par ma mère sur les réalités de la féminité, ni de la sexualité non plus, vous vous en doutez.

 
Je me sens de plus en plus stupide devant de Chloé. Je réalise que je me suis transformée en meuble de bibliothèque pendant des années.

 
Chloé efface mon malaise.

 
-Puis-je vous proposer le « tu » Bella ?

  -Avec plaisir !

 
-On t’a dicté depuis ton enfance ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire. Tu n’as jamais pensé à toi et tu te caches derrière ton boulot. Sous ton allure de jeune fille sage dors une femme. Pour l’instant tu n’arrives pas à la décrire, parce qu'elle te fait peur. Tant que cette peur te hantera, tu seras loin de toi. Réveille enfin ta véritable personnalité.

 
-Tu ne pourrais pas m’aider Chloé ?

 
-J’ai déjà commencé, non ?

 
suite chapitre 2

Par isabelle183 - Publié dans : La fille aux cheveux noirs
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