Discipline Domestique Romantique

Soirée spéciale 2

 

  -Que se passe-t-il avec moi Chloé ? Pourquoi tu m’as amènée ici ? Cet endroit me dépasse. Je n’arrive plus à me situer. Je suis en train de faire naufrage au milieu de l’inconnu. Je m’accroche sur mon radeau sans pouvoir résister au vent. Aide-moi.

  -Tu es encore novice de ce genre d’endroit. Si tu reviendrais régulièrement, tu fera une étrange découverte. Personne n’est capable de se situer devant des tels stimuli. Un maître d’aujourd’hui peut devenir un soumis un autre soir. Une dominatrice, si fière et hautaine, sera promenée en laisse dans une semaine. Le plaisir ne se définit pas, ne se laisse pas saisir, il sera toujours imprévisible. L’univers fantasmatique se récrée à chaque instant différemment à l’intérieur de nous.

Je t’ai montré cet endroit pour que tu comprennes notre similitude. Pour nous deux mondes existent : la séduction comme prélude à la rencontre et le laisser allée comme prélude à l’épanouissement.

Dans la séduction je maîtrise mon monde, c’est moi qui crée les liens et qui détermine leur degré et profondeur. Dans le laissé aller l’expérience ne sert à rien. Un débutant doué peut dépasser un connaisseur.

Tu sais Bella, en matière de sexualité chacun est une île. Il n’existe pas deux êtres avec des pulsions identiques. C’est la raison pour laquelle on éprouve autant de mal à affirmer ses propres tendances.

Cela commence déjà à la puberté où il faut trier parmi une multitude de pulsions différentes pour se construire un personnage. La sexualité génitale classique est en quelque sorte le billet d’entrée sur la scène des adultes, mais une fois la porte passée chacun est libre d’assouvir ses rêves les plus farfelus. Comme tu constates, nombreux sont des indécis qui remettent continuellement leur orientation pour telle ou telle autre pratique en question. Chacun à la recherche d’un plaisir suprême qui – à mon avis – n’est qu’une pure illusion. Tant qu’à faire, le mieux pour se débarrasser d’une illusion consiste à se familiariser avec la diversité.

  -Tu veux dire, Chloé qu’il faut s’abandonner à la perversité pour vivre dans le vrai ?

 -Que est-ce la perversité ? Rien de plus que des pratiques considérées comme des déviations par rapport à une norme arbitraire, une sexualité infantile à l’état brut, qui ne connaît pas l’interdit.

Perdu dans ce décor, personne n’est là pour nous soutenir, nous guider. On est vraiment seul et abandonné. C’est pour ça que j’aime cet endroit. Il me met en face de mes incohérences et irrationalités. Si j’arrive à m’affirmer ici, je deviens plus forte. La vie de tout les jours en comparaison, c’est de la rigolade. Ici je suis mise en face d’un large échantillon de destins absorbés à imposer leur différence. Mais la différence ne se trouve ni dans l’autre, ni dans la multitude, elle est en moi.

Alors en premier lieu je dois accepter ma singularité qui me distingue des autres. C’est elle qui me donne de la valeur à leurs yeux. Mon désir à moi me défini en face des autres. C’est ma carte d’identité.

Pas de question de réprimer mon désir. Ce serrait fatal. Un désir inassumé m’empêcherait d’accéder à la plénitude.

Bella, tu as passé une partie de ta vie à "subir" la sexualité comme s’il s’agissait de faire plaisir à quelqu’un sans prendre du plaisir toi-même et tu n’avais jamais rencontré une personne qui te convient sur le plan physique. D’où ton malheur. Il n’est pas forcement dû à l’erreur des autres, je dirais que ce soit plutôt ta propre faute. Tu as refusé de te mêler à la vie.

Au fond de toi se trouvent une multitude de pulsions qui forment ton désir physique. Si tu ne les suis pas, tu te prives, Se priver c’est la pire des soumissions à une autorité. Peut importe s’il s’agit de ta famille, ton milieu social, d’une religion, de la politique, de la philosophie ou ton propre jugement. Il est parfois difficile de changer un vécu entier, mais il faut se donner les moyens. L’enjeu est trop important. Il concerne notre existence, ce merveilleux fait de vivre consciemment.

  -Tu as raison Chloé. Les histoires des autres m’ont empêchée de chercher mon plaisir. J’ai confondu le leur avec le mien. Je n’étais pas consciente que ce refus forme un obstacle. J’ai vécu sans exister. Je pris conscience ici, ce soir.

  -Voila pourquoi je t’ai amené avec moi. Je ne suis pas une voyante mais les êtres humains se posent tous les mêmes questions.

  -D’un côté Chloé, tu sembles révoltée contre la soumission, de l’autre tu vie des expériences dans ce sens là. Comment fais-tu pour équilibrer ta balance personnelle ?

  -J’attribue une connotation jouissive à la douleur et à l’humiliation au niveau de ma sexualité. Cela ne constitue pas du tout une conduite de soumission sociale. La douleur et la mise en scène enivrent ma sensibilité. Les limites de mon moi s’effondrent et l’exquis et le douloureux se mélangent en volupté.

  -Je t’admire Chloé. Chez toi la sexualité et la vie sociale sont parfaitement dissociées. J’aimerais bien arriver à ce stade. Pour l’instant je suis incapable de séparer mes aspirations de vengeance sur le monde et ma jouissance.

  -Soit patiente Bella. Tu es plus loin dans tes recherches que tu soupçonnes.

Bientôt tout se clarifiera dans ta tête. Tu n’es pas un monstre, ni une détraquée.

Avant tout je pense qu’il faut distinguer entre sadisme narcissique et sado-masochisme. Le sadisme narcissique se caractérise par une absence totale de compassion, de l’émotion et de l’intérêt pour un autre être humain. Il s’agit plutôt d’un phénomène social que jouissif.

Le sado-masochisme par contre est une anticipation pendant la petite enfance à l’expérience génitale et une révolte contre elle ; une acceptation troublante de la passivité où la liberté se défini par le droit de subir douleur, humiliation et dégoût pour jouir. Mais le SM n’est pas du tout statique, il est ambivalent et il oscille en permanence entre ses extrêmes. Cela explique pourquoi j’aime tantôt te dominer, tantôt me soumettre à tes ordres Bella.

-Tu exprimes la même sensibilité que moi aussi j’éprouve devant des faits si ambiguës.

Je me suis, pendant longtemps, penchée sur la philosophie du divin Marquis. Il profite du siècle des lumières pour éclairer se qui se cache de plus sombre dans l’être humain. Comme Kant il s’intéresse aux lois qui gouvernent les rapports interhumains, mais d’une façon plus subversive et réaliste. L’essentiel de sa théorie se base sur la prémisse que la loi ne tient pas compte du désir. Dans ses œuvres on rencontre toujours trois instances : Une première personne qui invente ou établi une loi, une deuxième qui l’applique et une troisième qui la subit contre son gré, un reflet exact de la vie quotidienne.

Admettons maintenant que je me soumette à une autre personne dans une mise en scène parce que tel est mon bon plaisir. Certes, je tiens compte de ma volonté d’adulte et je m’engage dans une relation SM pour vivre mes pulsions en vu de mon bonheur. Mais alors j’accepte tout de même ce qu’un autre me dicte.

  -Tu es vraiment de mauvaise fois Bella : l’autre tient compte de ton désir le plus profond et t’aide activement à accepter tes incohérences. Il t’impose ce tu aimerais subir et ce que tu n’oses pas avouer. Il te sert de béquille pour vivre ce que tu te défends habituellement. Il te donne la permission pour ton acte, l’absolution avant le pêché en quelque sorte. C’est ça le vrai respect pour un autre, le comprendre, l’accepter et l’aider à s’épanouir. Si une vie de couple se construit sur une telle base, la vie est belle et on peut vraiment parler de l’amour : S’aider mutuellement à accéder à la satisfaction des sens et au partage des sentiments et des valeurs. Je ne dis pas que les relations SM soient la seule possibilité d’arriver à ce stade. Elles sont un moyen parmi tant d’autres.

Certains arrivent intuitivement, sans les mots, sans les mises en scène, deux corps et esprits en parfaite harmonie. Dans la réalité cette configuration est plutôt rare depuis que l’homme existe. Sinon qui s’aurait donné le mal d’inventer des livres comme le Kama -Sutra. 

 

  -As-tu des fantasmes qui t’inquiètent, Chloé ?

  -Non, je n’ai pas de pulsions inavouables. Ils sont tous, sans exception, réalisables. J’ai commencé très jeune à les mettre en pratique. Poser nue pour un inconnu, poser en groupe avec d’autres modèles en faisaient partie. Ce sont des mises en scène absolument inoffensives.

La cruauté et la brutalité qui peuvent mettre en péril mon partenaire me sont étrangers et à méchanceté me manque complètement.

Par contre je sais défendre mes intérêts si on veut me marcher sur les pieds ou m’imposer ce qui ne me plaît pas. Heureusement, sinon on m’aurait bouffée tout cru quand j’ai quitté ma mère.

  -Connais-tu ton père Chloé ?

  - Oh que si. Quel drôle de spécimen ! Il était fils de profession et si on croit mon grand-père c’était un rejeton indigne.

Au lieu de s’occuper des affaires familiales, il consacrait sa vie aux études et voyages. Il a vécu dans pas mal de pays différents.

On l’appelait le "païen". Il n’adhérait à aucune religion, secte, famille politique ou courrant philosophique. Cela n’insinuait pas qu’il ne s’intéresse pas à ces matières. Au contraire, il pouvait participer à n’importe quelle discussion sans manquer des connaissances et des arguments. C’était un homme brillant et estimé. Tu constates que la futilité est tradition chez nous.

La séduction et le charme je les tiens de ma mère. Puis après il y avait le travail pour affiner ce que la nature m’a offerte. J’ai commencé des cours de danse parce que j’avais envie. Quelle belle leçon de grâce, quel moyen magnifique de s’exprimer avec son corps et ses gestes.

J’adore toujours cette discipline. En dansant, j’exprime mon exhibitionnisme parce que la sensualité l’emporte sur la pudeur.

Par-dessus de ce "tout vas bien" je me consacre à mes fantasmes. Je ne veux et peux pas les expliquer toutes. Je me contente de prendre conscience de leur existence et de les mettre en pratique. Tant que mes désirs ne opposent aux désirs de mon partenaire, il y a de la place pour l’harmonie. Tu n’es pas heureuse avec moi Bella ?

  -Oh oui, le terme est faible. Je ne me suis jamais sentie aussi bien avec un autre être humain qu’avec toi.

Grâce à toi j’échappe à la monotonie et je connais enfin l’amour.

  -C’est un beau compliment Bella. Mais je doit te prévenir de suite : Ce que tu perçois comme amour pour moi, n’est qu’un passe-temps transitoire. En ce moment tu apprécies mon côté initiatrice, séductrice, mon côté humain et femme. Je suis la cible de tes ambitions et convoitises. Tu n’arrives pas encore à sonder tes profondeurs. Une fois cette compréhension atteinte, tu t’en lasseras de moi. Tu n’auras plus besoin de moi et de mon aide. D’abord tu éprouveras moins souvent le besoin de me visiter, tu vas essayer de me cacher tes nouveaux sentiments par peur de me blesser. Mais petit à petit on se perdra de vue.

  -Je ne te quitterai jamais Chloé. C’est toi qui se lassera de moi la première.

  -Ne dit pas de bêtises Bella. Tu sais que j’ai raison. Pense à l’instant présent, l’avenir viendra tout seul.

Maintenant suis moi pour mieux me connaître. J’ai envie de te montrer une autre facette de moi.

  Chloé se lève. Dans la salle cela est perçu comme un signal. D’autres couples nous suivent. Que se passera-t-il ? Mon amie me guide vers une autre salle. À l’intérieur se trouve une piste de danse et - je ne suis plus surprise - un murs entier dédie à la danse de Chloé, copie d’un tableau de M.

  Le fond sonore donne une dimension de plus à cette peinture. Il la fait vibrer. Les yeux sont captés, les oreilles aussi. Je devine que Chloé veut danser. Je n’ai jamais vu Chloé danser.

  Je ne me doute pas une seconde que je vais assister et être témoin d’un aperçu de son pouvoir quasi magique sur les femmes et hommes. La piste se vide, la pièce se remplit. Chloé monte sur scène. Je me pose la question si elle ne se sent pas ridicule à son âge de se déhancher en habits hallucinants devant une foule de voyeurs.

  Il faut beaucoup de talent et d’entraînement pour bouger aussi gracieusement qu’elle sur des talons si hauts de ses bottines. Ses gestes sont lents au début, décalés selon un système compliqué, à la musique. Avec ses mains au dessus de sa tête, elle fait appel aux dieux du son pour la pénétrer et se manifester en elle. Le décalage voulu se transforme par une absorption auditive en sens de rythme. Elle s’abandonne à la musique, lui suit avec élégance, en laissant guider ses pas et mouvements. C’est vrai, c’est beau à observer. À mon goût ce n’est pas assez pour mobiliser des fidèles ou se faire des nouvelles adeptes. L’élément essentiel est absent. Pour l’instant elle ne fait pas la différence avec une autre bonne danseuse.

  Malheureusement je ne comprends pas beaucoup à la danse pour savoir que Chloé a besoin d’échauffer ses muscles. Le port d’un corset assez rigide, défavorise certains mouvements comme si elle voulait volontairement se limiter dans ces figures. Son passé dans son dos sous forme d’un tableau, son avenir devant ses yeux - moi Bella - elle célèbre son présent, s’affirme devant les autres, devant n’importe qui désirant la regarder. Elle n’est pas coincée, elle n’a pas peur de ce qu’elle est.

  Le son monte, les basses fréquences sont prédominantes. Même moi, inhabituée à ce genre de soirée, je commence à éprouver une réaction corporelle. La musique est partout dans ma tête, elle résonne.

  Avant, le terme résonner, n’avait aucune signification pour moi. La résonance dans ma tête me provoque des vibrations qui couvrent peu à peu mon corps entier de chair de poule. Ce sont des frissons agréables qui apparaissent là où je les attend les moins, pour se déplacer aussitôt avec une rapidité déconcertante. Ils sont nombreux, imprévisibles et gagnent en intensité avec le son qui ne cesse d’augmenter. Impossible maintenant d’entendre une voix. La musique efface l’existence des autres autour de Chloé. Je ne vois qu’elle. Elle passe à la vitesse supérieure en posant deux mouvements là où le compositeur n’a prévu qu’un seul. Son exercice n’est plus reproductible par n’importe qui. Elle ne se contente pas avec l’effet de surprise. Elle parvient à tripler, puis à quadrupler un simple temps. Le spectacle devient impressionnant. Je n’ai jamais vu une maîtrise pareille. Chaque mouvement est exact et complet. Il y a une telle précision dans sa performance qu’une sorte d’envoûtement se propage. Chloé est un centre incontournable qui attire les regards et les envies.

  Je ne sais pas s’il y a beaucoup de jeunes femmes qui puissent la concurrencer, la rivaliser, rien qu’au point de vue d’esthétisme. Quand elle avait dansé devant M, elle était si jeune, au début d’une carrière qu’elle a dû malheureusement abandonner à cause d’un tragique accident.

  Avait-elle prévu, de se consacrer entièrement à M après la fin de sa carrière ? Avait-il lui demandé dans sa jeunesse de s’arrêter pour lui ?

Peu importe, avec vingt-cinq ans de décalage, elle offre un spectacle toujours grandiose. Je n’ose pas imaginer sa vitesse antan avec les années et la contrainte du corset en moins.

  Pourtant son charme ne se limite pas uniquement à l’expression de son corps. L’étrange arrive, l’odeur s’en mêle. Avec des mouvements quasi extatiques, elle balaye la piste de toutes les odeurs présentes. À la fin il ne reste que l sienne. Elle est agréable et plaisante, souligné par un parfum qui le rehausse encore. Avec ses bras, ses jambes, son corps entier, elle projette des nuages de phéromones enivrants. Qui peut résister à la fragrance d’une telle fleur qui s’offre pour être cueillie ? Je comprends M. En observant Chloé du premier rang, à si peu de distance d’elle, il a dû percevoir de suite cette particularité qui rend Chloé si unique ; unique aussi parce qu’en elle les cinq sens s’incorporent à la perfection. Même le goût de sa peau est un délice. D’ailleurs "La fille au cheveux noirs" fait allusion à cela. M a su transmettre par son tableau des sensations qui dépassent la vue. Tout y est, un hommage grandiose à une jeune fille sur le seuil de devenir une femme, si incontournable que le peintre s’efface volontairement derrière elle.

   Les cinq sens ébranlés, mon excitation sensorielle est au maximum. Prêt à m’envoler, je m’imagine devant la poétesse Sappho qui savait plus que mettre de la musique sur ses vers. Chloé n’a plus besoin de m’ensorceler, je suis déjà subjuguée par son charme. Je voudrais rester avec elle pour toujours.

  Chloé est en transe, cette transition mystérieuse d’un état vers un autre, si proche du divin. La musique s’arrête brusquement après un crescendo et un finale en bouquet. Elle tombe dans mes bras, elle est épuisée.
  Le silence nous entoure ; des regards qui me jalousent de ma copine. Je suis comblée, revalorisée et je sens la vie en moi. La magie de la musique et du son fait partie désormais de mon univers, grâce à Chloé, une fois de plus.

  La signification de l’endroit me parait évidente. Il sert en même temps à l’excitation et à la privation des sens. En ce lieu, tant apprécié par Chloé et son mari, des scènes se répètent, mais la configuration a changé. C’est moi, la compagnie de Chloé maintenant. Elle, elle persiste, elle est éternelle.

  Le temps ne saurait pas la ronger.

  Je suis la seule dans cette soirée privée qui ne soit pas privée. J’ai le droit de la toucher et de la tenir dans mes bras. Je tangue sur mes hauts talons. Même épuisée, Chloé tient la barre du navire. C’est ça un équilibre universel.

  Avec elle dans mes bras, je retourne au bar.

  -Tu ne vieilliras jamais Chloé, dit le serveur et nous offre à boire, un mélange de jus des fruits frais avec une pointe d’alcool. Il connaît les goûts de mon amie.

 

suite

 

 

 

Dim 9 nov 2008 Aucun commentaire