Discipline Domestique Romantique

                                                      4.1 Le Bain


Il fait chaud dès le matin. En entrant dans la bibliothèque je suis accueille par une odeur de cirage à l’ancienne. La femme de ménage passe inlassablement avant moi le samedi matin. L’atmosphère de la salle est lourde et pesante. Il n’est pas possible d’ouvrir les fenêtres entièrement. Elles permettent uniquement une position penchée. Il faut prendre son mal en patience que l’air fraîche trouve son chemin. J’ai l’habitude de cet inconvénient, autant plus que je suis orientée plein sud. En été je me sers d’un petit ventilateur, posé en face de moi sur mon bureau.

 

Comme tous les matins, je jette un coup d’œil sur mes plantes. Elles sont en pleine croissance, vu l’effet de serre de la salle et la bonne exposition. Certaines sont surdimensionnées et me posent un sérieux problème de place. Je pense aux petites boutures que j’ai amené, il y a cinq ans quand j’ai obtenu cette place. La terre est sèche et je les arrose un peu plus pour qu’elles ne me prennent pas un coup de chaleur dans mon absence le dimanche.

 

Le facteur arrive. Parfois il reste quelques minutes et on discute, surtout en hiver. Je ne pense pas qu’il s’arrête pour moi, mais plutôt pour la chaleur. La mairie est généreuse, la culture se consomme dans un endroit bien chauffé par période de froid.

 

Aujourd’hui cet homme est pressé. Normal, après sa tournée, c’est le week-end. Moi, j’ai des heures fixes, souvent des heures de présence. De neuf heures à midi et de quatorze heures à dix huit heures ; sauf le samedi et le mercredi où je ferme l’après midi.

 

Le facteur me porte le journal que je range - une fois lu - sur le présentoir. J’entends le bruit de l’horloge qui date du début du siècle dernier. Dehors défilent les voitures. Le samedi une interminable colonne s’avance vers l’Andorre pour faire le plein d’essence, acheter des cigarettes, de l’alcool, du beurre. Il y a tellement de passage que bruit devient monotone et forme un fond sonore auquel on s’habitue.

 

Personne ne s’arrête pour moi ou plutôt pour mes livres. Parfois je passe des matinées entières seule. De temps en temps je ferme pour une demi heure, manière de faire des courses, de poser une commande de livres à la mairie. J’ai un budget à respecter, sinon on ne me pose pas de questions. Je suis libre de commander ce que j’ai envie. J’ai dans mes rayons des revues de femmes, de beauté, de décoration, de cuisine. C’est effrayant ce qu’on peut lire quand on a le temp. Je suis au courant des dernières publications et quand elles m’intéressent, je les commande. C’est rare qu’un lecteur souhaite un livre en particulier. Ils se contentent en général de ce qu’ils trouvent. Il est rare aussi, qu’on me demande un conseil. Je fais partie de la salle et on me considère comme un accessoire du lieu.

 

Je pense à Chloé. Elle doit être sur la route. Nous avons rendez-vous à midi pile. Chloé est d’une ponctualité irréprochable. Je ne suis jamais allée à la côte perpignanaise, situé à moins de quatre heures de route. Peut-être parce que le chemin est difficile, à cause de tous les tournants à travers les Pyrénées. Quand on ne connaît pas un coin et quand on est seule, on n’a pas forcement envie de se déplacer.

 

Je prends un livre illustré sur Banyuls, pour me documenter. Une femme entre dans la salle. Un bonjour fugace, avant de s’orienter vers les biographies historiques et contemporaines. Je connais bien cette dame. Elle ne parle que le strict minimum et se contente de retracer la vie des autres.

 

Mon pied caresse mon sac de voyage. J’ai même pensé au chapeau. Chloé roule en décapotable. Elle aime le soleil, tandis que ma peau est plutôt fragile.

 

La femme repart avec une nouvelle acquisition qui est arrivée hier. Elle ne s’en doute pas un instant que j’ai choisi ce livre pour elle. Décidément je dois être une bonne bibliothécaire. Je ne me trompe rarement sur le goût de mes habitués.

 

Dommage qu’il n y’ait pas de miroir. J’ai envie de me regarder. Ai-je peur de déplaire à Chloé ? Je me suis mise en pantalon, toile écrue, comme celle de la jupe de la fille de Dali qui regarde le port. Pourquoi je ne me suis pas mise en robe. Pas assez sérieux pour mon travail. Bon prétexte pour un manque de courage.

 

-Bonjour Monsieur !

 

-Bonjour Mademoiselle !

 

C’est un curiste. Il est mignon. Il ne prend même pas le temps de me regarder. Mon T-shirt a un fond blanc avec des fleurs rouges et roses. Le monsieur m’a parlée, donc, sans le moindre doute, il ne m’a pas confondue avec une des plantes.

 

Les babies sont neuves, blanc nacré. Il faut aller à Toulouse pour en trouver. En tout cas, ils sont confortables. Mon soutien gorge avec effet pigeonnant garantie, passe inaperçu. Publicité mensongère.

 

Je mets le tampon de sortie sur les deux policiers. Quel bon détective qui ne sait même pas observer. Mais le monsieur n’est pas un détective, il est en vacance et profite de la cure, proposée et gracieusement offerte par la sécu.

 

Ma culotte est assortie au soutien gorge, font blanc, petites fleurs roses. J’ai hésité entre la version classique et échancrée. C’est l’empreinte de Chloé qui arrivera dans vingt six minutes. Avant c’était du classique et la question d’un choix ne se posait pas. J’étais embarrassée pour passer à la caisse. Pourtant la fille avait mon age, mais l’uniforme du magasin lui attribuait un air irréel. Heureusement je ne suis pas obligée de porter une tenue spéciale.

 

La seule tenue qu’on exige de moi, c’est le registre des livres.

 

B. se dessine dans ma tête à travers des photos d’une revue : une promenade avec un petit port, une mer vermeille, des plantes de la méditerranée, un dépaysement total.

 

Midi pile, l’horloge et le clocher du village sont en concordance. Une troisième sonorité apparaît, un coup de klaxon, c’est Chloé.

 

Sur un font en brique rose, superposé d’un ciel bleu tableau, en face de la bibliothèque on ne voit que la décapotable rouge vif de mon amie. Les regards des hommes, sur la terrasse du bistro à côté, sont tous braqués sur Chloé. En général, à cette heure de la journée, les hommes sont plutôt apathiques et la soif remplace la curiosité.

 

Moi, je passe inaperçu jusqu’aux moment où j’entre dans leur champ de vue, en posant mon sac de voyage sur le siège arrière de la voiture. Chloé, dans sa robe d’été en couleur vif, avec ses longs cheveux qui reflètent le ciel, est splendide. Une apparition exceptionnelle dans une petite ville de passage où on est habitué de tout voir. Elle dépasse le cadre touristique. Ca va bavarder sec au village.

 

Je prends place à ses côtés. L’odeur du cuir des siéges me change agréablement de mon cirage de parquet. La place est chaude, remplie de soleil.

 

-Bonjour ma petite Bella. Tu t’es sagement mise en beauté pour le grand voyage. Tu seras pas déçue.

 

Déçue par Chloé ? Impossible. Avec elle c’est du nouveau à chaque instant, du non vécu qui se réalise. Et hop, on est partie. Après le rond point, en laissant l’église sur la gauche, nous prenons la route du col de Chouilla.

 

-Comment s’est passée ta journée, se renseigne Chloé.

 

Son pied droit, en sandale jaune laqué, survole l’accélérateur. L’air frais se fait sentir. Je lui parle du détective qui a dédaigné de me remarquer.

 

-Et toi ? T’as essayé de chercher son regard et de le capter ou t’as simplement fait confiance à ton nouveau soutien gorge ? Je suppose que la culotte est assortie, sûrement échancrée.

 

Je suis époustouflée. Rien n’échappe à la vigilance de cette femme. Je lui demande comment elle a deviné.

 

- À ta façon de t’asseoir. N’oublie pas que mon mari était peintre. C’est une bonne école pour une jeune femme.

 

Elle parle avec grande tendresse de son mari, sans jamais se perdre dans la sentimentalité. Elle n’a pas besoin d’éviter ce sujet douloureux. Apparemment elle est en paix avec son passé.

Ce genre de confidences me va droit au cœur. Chloé sait me mettre à l’aise. Je lui parle donc de mes états d’âme devant la caissière.

 

-Ne me dit pas que tu aurais peur des uniformes Bella. Ils servent justement à rendre une personne impersonnelle pour ainsi désinhiber un potentiel client.

 

-Ce n’est pas vraiment cela qui me tracasse. Je dois t’avouer que les uniformes me troublent, pas pour ce qu’ils représentent. C’est plus profond que ça. Je pense entre autre à une série de tableaux de ton mari, particulièrement équivoque.

 

-Tiens donc, encore une amatrice des « femmes en uniforme ». Es-tu titillée par le fait que quelqu’un en porte ou aimerais-tu en porter toi-même ?

 

Avec Chloé il n’y a pas de détour. Elle va droit au but. Je me sens un peu piège. Après tout je l’ai bien voulu, même cherché.

 

-Les deux. Ne me méprend pas, je ne rêve pas d’un monde où l’ordre et discipline règnent en seul maître. Mais ces peintures m’ont causés des nuits blanches quand je les ai découvertes à seize ans.

 

-T’as pas à te justifier Bella. T’es tombée dans le panneau comme tant d’autres. Le but de cette série est précisément ce délicieux trouble, si incohérent et si obsédant. La dimension érotique de cette série est autant voulue que l’excitation quasi sexuelle qui s’empare du spectateur.

 

-Excuse-moi avec tout le respect que je dois à ton mari, Chloé, peut-on déduire qu’il était un obsédé ?

 

-Et comment ! Mais pas dans le sens que tu imagines. Son obsession tendait vers le but de rendre ses peintures aussi percutantes que possible. Il a travaillé pendant des mois pour élaborer des nouvelles techniques pour que ces femmes en uniforme semblent sortir du cadre, qu’elles s’interposent par leur coloris entre le fond du tableau et le spectateur comme une nouvelle réalité, un obstacle incontournable, captivant toute attention.

Malgré un érotisme agressif l’accueil de la critique fut unanimement enthousiaste. M. leur avait proposé un prétexte incontournable pour leurs louanges : La qualité de sa technique qui atteint un relief et une brillance rarement égalé. On aime ou on n’aime pas, mais le résultat est de toute beauté. Il a tout vendu le jour du vernissage, consécration méritée pour un travail de précision. C’est à partir de ces peintures que les créateurs de mode fétichiste ont conçu des lignes de lingerie et accessoires dans des latex et cuirs multicolores en dépassant enfin le stricte dress-code du noir. Une vraie révolution.

 

-Quel est ton point de vue personnel sur les uniformes Chloé ?

 

-J’adore en porter. J’ai une collection impressionnante : soubrette, nurse, avocat, militaire, pervenche et ainsi de suite. Tu fais à peu près la même taille que moi. Si tu le désirais, je te les ferrai essayer un jour. Tu verras, c’est une expérience inoubliable qui émue de la tête au pied.

 

-Je n’en doute pas un instant. Si tu savais quel genre d’idées m’a traversé l’esprit quand j’ai feuilleté le catalogue de l’exposition. Adolescente, j’étais tellement mal dans ma peau que je voyais dans les uniformes une échappatoire dans un monde imaginaire et sensuel. Laisser ma personnalité qui me pesait au vestiaire pour endosser un uniforme, me changer en une autre qui ignorait les complexes ; se cacher sous un déguisement pour réaliser des fantasmes qui me hantaient. Le tout dans une dépersonnalisation complète qui ne connaît ni tabou ni interdit, protégé par une carapace. Je ne voulais être que corps, que sensation, que sensualité.


suite chapitre 4.2


 

 

Mar 29 avr 2008 Aucun commentaire